Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séjours à Paris, regagner sa province, reprendre sa chambre dans la maison de famille et se plier à une tutelle devenue difficilement supportable pour un grand garçon d’humeur indépendante et qui, depuis longtemps, avait l’âge d’homme. Cette oisiveté, ce vide et cette incertitude le faisaient souffrir cruellement. « Sans existence, ni avenir, ni liberté, ni occupations d’aucun genre en ce monde, je ne sais que faire de la vie. » Ce mal moral de l’ennui avait sur sa santé même le plus fâcheux retentissement : nous l’entendons sans cesse se plaindre de ses souffrances physiques, tantôt de son cœur, tantôt de son estomac ou de son foie. Le chagrin, l’ennui, la maladie, c’est plus qu’il n’en faut pour expliquer que Lamartine ait subi, en cette année 1818, un véritable accès de misanthropie. La vie même de Mâcon ne lui semble pas assez solitaire, maintenant qu’il est pourchassé jusque dans sa chambre par des beaux-frères et par des enfans criards. Il se réfugie à Milly ; il y broie du noir ; il rêve, et, — parce que ce poète d’une si belle imagination est d’ailleurs un provincial de bon sens, — il réfléchit.

Le résultat de ces réflexions, ce fut qu’il devait se marier.

Le mariage, à la façon dont il l’envisageait, devait être un acte éminemment raisonnable. Il ne souhaitait pas d’épouser une toute jeune fille ; car, « quel mari offrir à une jolie, jeune et fraîche personne ! Quel corps et quelle âme vis-à-vis de dix-sept ans ! » Il n’aspirait pas à la passion dont il se croyait désormais incapable, et dont sans doute il se méfiait pour en faire la base d’une solide union : il y préférait une « douce tendresse. » Il va sans dire qu’il ne voyait pas dans le mariage une affaire, mais plutôt l’accomplissement d’un devoir, une façon de se mettre en règle avec la société, une manière de s’installer dans la vie « suivant les lois établies, divines et humaines. » D’ailleurs, il ne pouvait se marier dignement qu’à la condition de trouver un emploi. Alors, il pourrait commencer une vie nouvelle, ou plutôt entrer vraiment dans la vie.

Dès le mois de juillet de cette année, un projet de mariage est apporté par Louis de Vignet ; mais il n’aboutit pas. « Je n’ai pas eu même la possibilité de me présenter, mon père ne s’est prêté à rien. » Au mois de septembre, appelé par Virieu à Paris, Lamartine y sollicite le poste de secrétaire d’ambassade à Munich et ne l’obtient pas. Sur ces entrefaites, Talma, qui a enfin lu Saül, déclare la pièce admirable, mais injouable. Ce sont échecs