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500 000 taëls ; il fit faire des offres par l’intermédiaire d’un jeune mandarin, Lin-fang, qui a vécu en France comme élève de la mission que l’arsenal y entretenait et qui passe pour être favorable à nos compatriotes dont il parle la langue ; la négociation était sur le point de réussir lorsque les Japonais l’apprirent : aussitôt c’est contre le malheureux Lin-fang un déchaînement de menaces et d’injures ; un pamphlet est édité à Chang-hai, chez un imprimeur japonais, sous le titre : Le péril qui menace la province de Min ; Lin-fang y est accusé de vouloir vendre son pays à la France et prévenu que, s’il continue, il subira, lui et ses amis, la juste vindicte de ses compatriotes. Bien entendu, il ne fut plus question de l’emprunt.

La tyrannie des Japonais a été si odieuse, en ces derniers temps, dans le Fo-kien, qu’elle a fini par soulever contre eux la haine populaire. La plupart des mandarins, par lâcheté ou. par vénalité, sont devenus leur plats serviteurs, prêts à leur vendre leur pays s’ils l’exigent ; mais quelques autres, plus intelligens ou plus courageux, s’indignent d’un tel avilissement et s’inquiètent des progrès d’une influence si arrogante ; ils voient grandir, à l’école militaire, l’esprit d’indiscipline et ils ont osé demander à Pékin qu’elle fût fermée ; ils ont signalé les tendances antidynastiques et révolutionnaires des Chinois japonisés et, pour résister aux empiétemens japonais, ils cherchent à s’appuyer sur les Européens. Il n’est pas jusqu’aux protégés des Japonais qui n’aient trouvé leur tutelle fort onéreuse le jour où, au début de la guerre, les agens nippons leur ont extorqué 100 000 taëls sous prétexte de prêter assistance au glorieux Empire du Soleil Levant. D’honnêtes négocians, révoltés par tant d’injustices et d’arbitraire, se sont adressés à notre consul qui a très habilement profité de leur mécontentement pour fonder avec eux une Chambre de commerce franco-chinoise dont l’inauguration a eu lieu le 12 juillet 1904 ; il est question de subventionner un journal ; c’est un premier essai de résistance à des procédés auxquels les victoires du Japon ne sont pas de nature à mettre un terme.

Les incidens du Fo-kien comportent un double enseignement. Le but que les Japonais poursuivent apparaît nettement : c’est d’organiser dans l’Empire du Milieu une sorte de protectorat moral et économique en dirigeant eux-mêmes, à leur profit, tous les ressorts de la vie nationale, puis d’évincer peu à peu les Européens et les Américains, pour appliquer « au profit du