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les vainqueurs n’étaient-ils pas les barbares étrangers et ne devaient-ils pas ces succès militaires à des procédés que la Chine pouvait mépriser et ne devait pas craindre ? Ni la guerre de 1860, ni les luttes contre les Français au Tonkin, coups d’épingle à la surface de l’empire chinois, n’en ébranlèrent la masse. Il en fut autrement des victoires japonaises. Battus par des voisins, par des hommes de race jaune qui jadis ont reçu de Chine le meilleur de leur civilisation, les Chinois les plus intelligens commencèrent à comprendre tout le bénéfice que le Japon a tiré de sa révolution et de l’adoption des procédés et des outils européens ; pour la première fois, l’introduction des réformes leur apparut, non plus comme une ruse des étrangers pour dominer leur pays et l’exploiter, mais, au contraire, comme le seul moyen de résister à leurs exigences et de mettre un terme à leurs empiétemens. Avec toute la subtilité de leur génie, les Japonais travaillèrent à atténuer l’humiliation de la défaite subie en se prévalant du service rendu ; ils surent accroître leur crédit de toutes les défiances qui grandissaient envers les Européens. L’influence du marquis Ito n’a pas été étrangère à la naissance du mouvement réformiste de 1898, et, dans cette même crise, les représentans de la Russie ont appuyé l’impératrice douairière et le parti mandchou. Ainsi, dès l’origine, en présence des tendances réformistes, les puissances se groupent selon leurs affinités et leurs intérêts : les Japonais, suivis par les Anglais, encouragent les novateurs ; le Japon et Hong-kong deviennent les deux foyers d’où partent les libelles, où s’organisent les complots, où se réfugient les conspirateurs ; au contraire, la Russie, avec la France et le plus souvent l’Allemagne, persistent dans la ligne de conduite qu’elles ont adoptée en 1895 ; elles s’attachent au principe de l’intégrité de l’Empire, au maintien de la dynastie et font valoir leur protection pour obtenir des avantages commerciaux ou des concessions.

L’histoire de la réforme, tentée, de juin à septembre 1898, par l’empereur Kouang-Siu, conseillé par Kang-Yu-Wei, est trop connue pour que nous en refassions le récit ; nous nous contenterons d’en rappeler le caractère. Il s’agissait bien d’une réforme, non d’une révolution. Le précepteur de l’Empereur, Wong-Tong-Ilo, avait fait lire à son élève deux livres de Kang-Yu-Wei traitant, l’un de l’histoire de Pierre le Grand, l’autre de la révolution de Meiji, au Japon : Kouang-Siu avait rêvé d’être un Pierre