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protocolaire dont le Comité ne paraissait pas s’émouvoir.

Le 15 septembre, je reçus au Parquet la visite de Mme Sencier, femme de l’ancien préfet du Rhône, qu’accompagnait un ami de famille, M. Aubert, agent de change fort honorablement connu à Lyon. Les démarches qu’elle avait déjà faites auprès de Le Royer et de Challemel-Lacour pour obtenir la mise en liberté de son mari avaient été accueillies avec sympathie ; mais le procureur général, comme le préfet, avait conseillé la temporisation et la patience, craignant qu’en ces jours d’anarchie la mise en liberté de l’ancien préfet de l’Empire ne fût aussi périlleuse pour lui-même que pour l’ordre public.

Mme Sencier insista auprès de moi avec autant de dignité que d’émotion ; elle craignait que l’agitation populaire n’aboutît à un massacre dans les prisons et les souvenirs de 93 remplissaient son cœur d’une mortelle angoisse.

Je fus profondément touché de sa douleur et de ses larmes :

— Madame, lui dis-je, peut-être serai-je demain à la place de M. Sencier ; mais il sera libre dès ce soir ; j’irai moi-même veiller à son élargissement.

Il s’agissait de présider à une évasion plutôt qu’à une mise en liberté ; car si je pouvais compter sur le personnel des gardiens, il importait de dépister la surveillance des gardes nationaux, dont quelques-uns étaient capables des plus graves violences contre l’ancien préfet, s’il tombait entre leurs mains. La connaissance des lieux, que je devais à ma récente villégiature à Saint-Joseph, facilita ma tâche.

Les détenus politiques étaient enfermés à la maison d’arrêt, prison neuve, placée sous le vocable de Saint-Joseph ; à côté s’élevait la maison de correction, ou prison Saint-Paul, beaucoup plus ancienne. Ces deux prisons n’étaient séparées que par la largeur de la rue Delandine, sous laquelle avait été ménagé un passage souterrain.

Je connaissais cette voie de communication, et comme la maison d’arrêt était la plus rigoureusement gardée à cause de l’affectation qu’elle avait reçue, je me servis du tunnel pour faire échapper par la porte moins bien surveillée de la prison Saint-Paul les prisonniers dont il fallait dissimuler le départ.

M. Sencier inaugura ce mode d’évasion le 15 septembre. Je sortis avec lui à la faveur de la nuit et je l’accompagnai à la gare de Perrache, où l’attendait un wagon. Les issues de la voie