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République à Lyon. Je devenais le chef ou le collègue des magistrats qui, trois mois plus tôt, avaient requis ou prononcé ma condamnation, et qui d’ailleurs ne parurent jamais m’en garder rancune.

Je pouvais me coiffer d’un bonnet cerclé d’argent et dans les solennités ceinturonner de moire bleue ma robe noire ; mais quant à remplir ma fonction, c’était une entreprise moins facile. Je n’avais qu’un titre nu, sans autorité réelle, sans moyens et sans agens d’exécution. Mes plus indispensables auxiliaires, les commissaires de police, étaient tous en prison ; les sergens de ville révoqués et dispersés ; la police faite par les agens de la Commune et par des gardes nationaux qui ne reconnaissaient d’autre autorité que celle du Comité de Salut public. On comprendra de quel crédit jouissait le Parquet quand on saura qu’un de mes substituts, M. Morin, avait été arrêté sur son siège tandis qu’il requérait en police correctionnelle contre des prévenus de droit commun.

Le plus impérieux de mes devoirs, et j’étais impatient de l’accomplir, était de faire mettre en liberté les victimes des arrestations arbitraires ; mais la prison étant surveillée par les forces révolutionnaires, tout élargissement d’un détenu politique, dans l’état de l’opinion, pouvait entraîner les désordres les plus graves et compromettre la sécurité des prisonniers.

Quoique ma nouvelle fonction ne parût guère compatible avec cette qualité, j’étais resté membre du Comité de Salut public. J’en profitais pour avoir accès au Comité, y porter mes doléances et y puiser l’appoint d’autorité qui m’était nécessaire.

C’est ainsi que j’avais pu mettre en accusation devant cette assemblée Timon, le chef redouté de la bande de la rue Luizerne, et obtenir sa révocation après qu’il eut mis le comble à ses excès en emprisonnant M. Grizard-Delaroue, syndic de faillites, à qui il avait, par un odieux chantage, tenté d’extorquer une somme d’argent.

Mais mon insistance pour obtenir une décision qui facilitât les mises en liberté restait vaine, parce que les membres les mieux intentionnés rentraient sous terre dès qu’il s’agissait d’affronter les colères de la rue.

D’accord avec le premier avocat général Millaud et avec moi-même, le procureur général Le Royer avait décidé que nous ne serions officiellement installés qu’après que tous les magistrats seraient sortis de prison. Ce n’était là qu’une protestation