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arrestations de magistrats ; l’élément comique s’y mêlait parfois.

Le 6 septembre, je vis arriver à l’Hôtel de Ville un pacifique citoyen, dont le visage rembruni s’éclaircit en me voyant :

— Ah ! monsieur Andrieux ! dit-il, vous allez me faire rendre justice !

Et il me conta sa mésaventure.

C’était M. Gay, propriétaire d’un jardin qui se développait en amphithéâtre sur la colline de Fourvières.

Il fallait autrefois, pour arriver au sanctuaire de la Vierge miraculeuse, poursuivre un long pèlerinage à travers des rues étroites, mon tueuses, durement pavées de cailloux pointus. En vérité, après cette épreuve, les fidèles avaient mérité la rémission de plusieurs jours de purgatoire.

M. Gay avait imaginé de leur adoucir le chemin du sanctuaire et celui du paradis en traçant à travers son jardin un passage en pente douce, mollement sablé. Pour ce service, il percevait un droit de péage, cinq ou dix centimes ; je ne sais plus.

Or, au lendemain du 4 septembre, quelques membres zélés de la Commission des intérêts publics avaient pris entre eux une délibération ignorée du plus grand nombre, par laquelle ils « affranchissaient le passage Gay. » Et comme l’infortuné propriétaire se montrait récalcitrant et continuait à percevoir, quatre gardes nationaux étaient allés arrêter l’homme, et saisir sa recette que l’un d’entre eux portait dans une sacoche.

Je conduisis le brave Gay devant le Comité. Je plaidai sa cause, faisant observer à ses juges qu’il n’était pas équitable d’affranchir le passage Gay, quand on n’affranchissait pas les maisons de location, les voitures publiques et les bateaux-omnibus.

Gay acheva de gagner son procès en s’écriant : « Ah ! messieurs ! me traiter ainsi, moi qui suis un embellissement de Lyon ! » Gay était un des meilleurs, mais à coup sûr un des plus laids parmi les Lyonnais. L’éclat de rire qui accueillit son exclamation acheva de désarmer le Comité qui lui rendit sa sacoche avec la liberté.


VIII

Le jour même où j’avais été reçu par le garde des Sceaux, avait été signé le décret qui me nommait procureur de la