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— Oui ! oui ! disait-il ; c’est comme en 1848, quand Emmanuel Arago était commissaire de la République pour le département du Rhône. J’étais alors pour la première fois garde des Sceaux, vous avez encore à Lyon des magistrats dont j’ai signé le décret de nomination !

Je compris avec tristesse que je perdais mon temps chez ce vieillard verbeux, et j’allais le quitter pour me rendre chez son collègue de l’Intérieur, quand il me retint pour m’offrir le choix entre la fonction de premier avocat général, — supprimée depuis, — et celle de procureur de la République à Lyon. — Le Royer, me dit-il, accepte d’être nommé procureur général. Choisissez entre les deux situations que je vous offre ; celle que vous laisserez sera pour Millaud.

Déjà avant mon départ de Lyon, Le Royer m’avait fait part des intentions du gouvernement ; je J’avais prié de répondre en ce qui me concernait par un refus ; il me répugnait de paraître recevoir le prix de mon opposition à l’Empire.

J’exposai au garde des Sceaux les scrupules qui m’empêchaient d’accepter ; je cédai toutefois à ses instances auxquelles se joignaient celles d’Antonin Dubost. Laissant à l’éloquence de mon confrère Edouard Millaud l’emploi plus solennel et hiérarchiquement plus élevé de premier avocat général, j’optai pour la fonction plus militante de procureur de la République, où je croyais pouvoir, en ces temps troublés, rendre quelques services à mes concitoyens.

Bientôt après, je fus reçu par Gambetta au ministère de l’Intérieur. L’accueil fut tout différent ; cet orateur savait écouter. Il me questionna longuement sur la composition, les tendances, les actes, les projets du Comité de Salut public, sur les moyens de mettre fin à une anarchie intolérable et de faire prévaloir l’autorité du représentant de la Défense nationale. Il me fit le plus vif éloge de Challemel-Lacour qu’il tenait en grande estime autant pour l’élévation de son esprit que pour la conception autoritaire qu’il avait de la liberté.

Comme il ne fallait pas oublier la mission du club de la Rotonde, un peu négligée pendant cette première journée, je demandai à Gambetta la permission de lui présenter mes deux co-délégués. Rendez-vous fut pris pour le lendemain avec prière d’abréger l’entretien.

Le 11 septembre, à l’heure convenue, j’arrivai place