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qu’un préfet qui s’emploie à combler les désirs de la garde nationale mérite la confiance du Comité. Il propose « qu’une délégation lui soit envoyée, afin d’expliquer qu’un malentendu est cause de ce dont il se plaint. »

Puis voilà que le citoyen Andrieux, en passe lui aussi de devenir suspect, se mêle de conseiller une politique de conciliation avec le représentant du gouvernement de la Défense nationale.

La délégation paraît avoir rempli son mandat avec succès ; car, lorsqu’elle rentre en séance, elle déclare que « le préfet a compris tout de suite que les inconvéniens dont il s’est plaint provenaient de la nature de la situation que nous traversons. »

En vérité, voilà un fonctionnaire aussi accommodant que perspicace ! Aussi est-il décidé qu’une lettre lui sera écrite par les présidens pour définir les pouvoirs de chacun. Le Comité se réserve tout ce qui regarde la Commune de Lyon ; il abandonne à Challemel le surplus du département. Il est dit en outre : « La médiation entre nous et le gouvernement provisoire, pour les intérêts généraux de la défense nationale, vous sera attribuée au titre de délégué du gouvernement provisoire. Il va sans dire que nous nous communiquerons réciproquement les dépêches d’intérêt général. » Pour mince qu’il fût, c’était un progrès ; un autre plus important semblait devoir résulter d’une décision prise à la fin de la même séance.

Un modéré, le citoyen Carlod, proposa que les électeurs fussent appelés, à une date prochaine, à nommer un conseil municipal. L’élection d’un conseil municipal, c’était la fin de la dictature révolutionnaire ; c’était le "rétablissement des lois et d’un ordre régulier.

La proposition Carlod souleva de violentes protestations ; je pris la parole pour l’appuyer ; le citoyen Durand, l’orateur favori du Comité, me répondit de sa voix la plus caverneuse, et l’heure avancée de la nuit, la demi-obscurité de la salle favorisaient les effets de son genre d’éloquence J’entends encore l’accablante apostrophe de son exorde ex abrupto : « Jeune homme, s’écria-t-il, éprouvez-vous déjà la fatigue révolutionnaire ? »

Non ! le « quousque tandem » de Cicéron ne fit pas courir plus de frissons parmi les sénateurs romains que le : « jeune homme, éprouvez-vous déjà » du citoyen Durand parmi ses collègues du Comité !