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d’un pouvoir qu’il importe de ménager, mais aussi avec une méfiance voisine de l’hostilité. Il y subit un interrogatoire au cours duquel il assouplit sa raideur naturelle, se courba au niveau de son auditoire, s’efforça de gagner sa confiance par des déclarations appropriées aux circonstances, et mit toutes les ressources de sa haute intelligence à s’insinuer dans les sympathies d’une démocratie ombrageuse et revêche.

J’ai sous les yeux le passage du procès-verbal, où il est sommairement rendu compte de cette première entrevue. Je lis :

« Le citoyen Challemel-Lacour est introduit au sein du Conseil. Une longue conversation s’engage avec le citoyen délégué. Beaucoup de renseignemens lui sont demandés. Le citoyen Chepié prend acte, au nom du Comité, des déclarations du citoyen Challemel. On décide qu’une délégation de cinq membres procédera à l’installation du citoyen Challemel dans ses pouvoirs. Sont nommés pour cette mission les citoyens Chepié, Grinand, Maynard, Vollot, Bergeron. »

Les Cinq commencèrent par installer « le citoyen délégué » dans ses appartenions ; ils lui attribuèrent trois pièces basses, mal éclairées, mal aérées, à l’entresol de l’Hôtel de Ville ; on y avait accès par une sorte d’escalier de service, sur les marches duquel s’échelonnaient des gardes nationaux, l’arme au pied, ayant pour consigne de ne laisser entrer aucun visiteur sans l’autorisation de l’un des présidons du Comité.

Le premier acte de Challemel-Lacour fut de nommer un secrétaire général, le titulaire de la fonction étant incarcéré à la prison Saint-Joseph. Son choix se porta sur M. Gomot, chef de bureau sous l’Empire, qui se recommandait aux sympathies de la démocratie lyonnaise par sa bonhomie, la familiarité de ses manières, son aspect négligé, sa qualité de franc-maçon et l’affirmation récente de ses opinions républicaines.

Gomot prit place aussitôt dans l’entresol affecté au citoyen délégué, où déjà travaillaient, recevaient, mangeaient, fumaient et dormaient Challemel, son neveu et Dionys Ordinaire.

Le nouveau préfet n’était pas seulement dépouillé de son titre et de ses fonctions ; il était prisonnier à l’Hôtel de Ville. J’ai dit que personne ne pouvait arriver jusqu’à lui sans la permission du Comité ; je conserve une autorisation qui me fut accordée daller lui rendre visite. Pour ne rien celer, je dois ajouter qu’au bout de quelques jours Challemel lui aussi obtint