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Debout, tenant à la main un rameau vert, Lentillon embrassait étroitement un homme du peuple, symbolisant ainsi derrière mon dos la paix, l’égalité, la fraternité, en une composition allégorique dont l’éloquence échappait à mon attention.


II

Précédé de drapeaux et de tambours, grossissant de minute en minute par l’incessante alluvion de l’insurrection victorieuse, le cortège se mit en marche ; il suivit les quais du Rhône, la place Napoléon, aujourd’hui place Perrache, la ci-devant rue Bourbon, devenue rue Victor-Hugo, la place Bellecour, la rue Impériale, promue depuis rue de la République, par avancement, — sans aucune opposition de la police ou de l’armée, et me conduisit jusqu’à l’Hôtel de Ville, où je fus nommé par acclamation « membre du Comité de Salut public. »

J’appris ainsi l’existence de ce Comité, dont le titre, par les souvenirs qu’il éveillait, semblait choisi pour terroriser les conservateurs. Je dus interroger mes amis pour connaître son origine, sa composition, les circonstances de son avènement.

Après nos premières défaites, prévoyant la fin du régime et résolus à ne pas laisser échapper l’occasion longtemps attendue de mettre la main sur la puissance publique, les révolutionnaires lyonnais avaient préparé les élémens d’un gouvernement populaire.

Des groupemens occultes, formés dans divers quartiers, furent consultés, — on n’a jamais bien su par qui, ni comment, — et de leurs délibérations sortit une liste de commissaires qui pouvaient ainsi se réclamer d’une sorte d’élection.

Sur cette liste, mon nom ne figurait pas ; les vieilles barbes, blanchies dans la discipline du parti, trouvaient que je n’étais pas assez dans le rang, et m’eussent volontiers laissé à Saint-Joseph.

La nouvelle du désastre de Sedan avait été connue à Lyon dans la nuit du 3 au 4 septembre ; le lendemain, dès huit heures du matin, la place des Terreaux, qui s’étend devant la façade principale de l’Hôtel de Ville, était remplie d’une foule venue surtout des quartiers ouvriers. Les troupes envoyées pour la dissiper s’étaient retirées à peine arrivées, les cavaliers après avoir remis le sabre au fourreau, les fantassins, après avoir levé la crosse en l’air.