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à croire qu’on l’y a obligé. L’amnistie, au lieu d’être accordée largement, généreusement, sans conditions, aux condamnés de la Haute-Cour, est devenue auprès de leurs amis l’objet, sinon d’un marchandage formel, au moins d’un calcul, et on a promis à la droite qu’on lui rendrait les exilés à la condition qu’elle appliquerait elle-même une indulgence plénière aux faits de délation. La chose était dure à accepter, mais les exilés étaient si dignes d’intérêt ! Que voulait-on par là ? Faire réintégrer sur le tableau des avocats ou sur la liste des légionnaires les deux ou trois personnes auxquelles nous avons fait allusion ? Non ; on voulait plus encore. On voulait que le gouvernement se sentit autorisé à remettre en activité de service tel général qui avait été frappé de disgrâce. On voulait qu’il fût désormais impossible d’invoquer contre tels ou tels les faits qui, aux yeux de la grande majorité des Français, les rendent indignes de remplir des fonctions ou de porter des insignes auxquels s’attachent la considération et la confiance. Voilà pourquoi on a mêlé dans une promiscuité révoltante les condamnés de la Haute-Cour, qui ont failli sans doute mais qui ont expié, et auxquels tout le monde continue de tendre la main, et ceux qui ont introduit, encouragé ou pratiqué la délation dans la famille militaire ! Il fallait faire au moins deux amnisties différentes, comme on l’a fait pour les condamnés politiques et pour les faillis. Mais on a tout confondu, et on a offert en bloc, toujours en bloc ! au Parlement un projet de loi à la fois attirant et repoussant, dont certaines parties devaient plaire aux uns et certaines aux autres, mais qui, ne satisfaisant personne, devait inévitablement provoquer des tempêtes dans une Chambre véhémente et passionnée, comme celle qui siège au Palais-Bourbon. Aux objections timides qui lui ont été présentées au Sénat et à celles qui, en dehors même du discours de M. Lasies, commençaient à se produire à la Chambre avec plus de vivacité, le gouvernement n’a répondu qu’une chose, à savoir qu’il « plaignait » ceux qui, après les événemens de ces dernières semaines, ne sentaient pas la nécessité de reconstituer l’unité morale de la France par une réconciliation générale. On peut sans doute tirer de ce thème des effets éloquens, et M. le président du Conseil n’y a pas manqué ; mais ce ne sont là que des phrases un peu vaines, qui pourraient devenir dangereuses si on en abusait trop souvent, et, en vérité, l’évocation de l’étranger n’était pas à sa place.

En tout cela, nous ne plainons que M. Déroulède. Il a été la victime de petits calculs et de petites manœuvres. Mais fallait-il tout sacrifier à la considération qu’il mérite ? Nous ne plaignons pas les