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sa valeur vraie dans une mesure qu’a prise le gouvernement chinois quelques jours après sa conclusion. Le traité est du 7 septembre, et le 15 septembre a paru un décret de l’empereur de Chine qui a dû surprendre tous ceux qui n’étaient point au courant des liens qui unissaient le Thibet à la Chine, tant au point de vue des affaires intérieures qu’au point de vue international. Par ce décret, le dalaï-lama était déposé et le taschi-lama, le Panchen-Rimpoché, le grand pontife du monastère de Taschi-lumbo, était désigné pour recueillir sa succession.

Tous les pouvoirs temporels et spirituels du dalaï-lama ont été transférés au taschi-lama. Celui-ci sera dorénavant représenté à Lhassa par quatre conseillers qui, dans des conditions déterminées, partageront le pouvoir politique avec Famban chinois. A la tête du gouvernement du Grand-Thibet le « Souverain maître spirituel » remplace « le Joyau de majesté et de gloire. » Le divin Amithaba ne voit plus dans son disciple, Avalokitçavara, un usurpateur au temporel. L’histoire a de ces retours ; le Panchen-Rimpoché a accepté sans doute avec sérénité ce jeu de la fortune ; l’Angleterre l’a accueilli avec non moins de plaisir, et l’on comprend maintenant pourquoi elle n’a pas grand besoin d’un résident à Lhassa, l’éminent personnage dont elle a cultivé depuis un siècle l’amitié et qui lui a donné sans cesse des marques effectives de bon vouloir, étant devenu, lui-même, le chef du Grand-Thibet.

Il ne faudrait d’ailleurs pas croire que ce soit sur l’étendue entière du Grand-Thibet, tel que nous le représentent encore nombre de documens géographiques, que l’influence anglaise va s’exercer. On dirait que la Chine a prévu, depuis quelques années, la mainmise des Anglais sur les États du dalaï-lama, et elle a pris en tous cas des dispositions en conséquence. Depuis le jour où, à la suite de l’annexion du Sikkim, l’accès du Grand-Thibet a été ouvert aux Anglais, la cour de Pékin a cherché à diminuer peu à peu l’étendue du pays soumis à l’autorité du dalaï-lama, en en détachant, chaque fois que l’occasion s’en est présentée, quelque parcelle de territoire. Dès 1886, elle enlevait au royaume de Lhassa les pays des Hortous et des Ribotchés et donnait l’ordre aux chefs des lamas des provinces de Djaya et de Tchamdo d’envoyer des ambassades périodiques à Pékin, ainsi que le font le dalaï-lama et le taschi-lama, et sanctionnait ainsi leur indépendance à l’égard du gouvernement de Lhassa