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indépendant. Le dalaï-lama est à la tête du plus important de ces ordres : l’ordre de Galugpa fondé par Tsong-kapa ; les généraux des autres ordres ont pour lui la déférence due à une personne éminente en dignité ; mais ils ne lui sont nullement subordonnés au point de vue religieux ; ils ne lui doivent obéissance qu’en tant qu’il est souverain temporel ; et c’est pour cela qu’il est absolument inexact de comparer le dalaï-lama au Pape et de parler de papauté bouddhique. Même dans l’ordre de Galugpa, il y a un personnage dont les voyageurs d’Occident ont peu parlé, mais que la piété traditionnelle des Thibétains considère comme plus élevé en dignité spirituelle que le dalaï-lama ; c’est le Grand-Lama de Taschi-lumbo, ou taschi-lama avec lequel avait noué des relations, au XVIIIe siècle, Warren Hastings. En effet, le taschi-lama réincarne l’apôtre de Bouddha, Mangoa-Sri ou Amithaba, tandis que le dalaï-lama réincarne simplement le disciple de celui-ci, Avalokitçavara. Objet d’une vénération plus grande de la part des fidèles, il est appelé par eux le Panchen-Rimpoché, « la gemme divine de science, » « le docteur incomparable, » ou mahou gourou, « le Grand Maître spirituel, » titres plus glorieux et plus saints que celui que porte le dalaï-lama appelé par les Thibétains « joyau de majesté et de gloire. » C’est le taschi-lama qui prend part à la découverte, à l’examen des fonctions du jeune dalaï-lama chaque fois que s’accomplit une nouvelle métempsycose. De vieilles légendes, qui datent du temps où l’intervention d’un Charlemagne bouddhiste n’avait pas assuré la prépondérance au Grand-Lama de Lhassa en lui constituant un patrimoine de Saint-Pierre, attachent le sort de la religion nationale au destin du Panchen-Rimpoché ; ce sera fait du lamaïsme au Thibet quand ce glorieux maître se sera retiré à Shambala, la Jérusalem céleste des bouddhistes. Et l’on peut dire que, si la protection des Mongols et des Chinois a conféré au dalaï-lama de Lhassa un pouvoir et un rang politiques supérieurs à ceux du Grand-Lama de Taschi-lumbo, les rapports religieux, dans l’église jaune bouddhique, n’ont pas été intervertis. La supériorité ecclésiastique du Panchen-Rimpoché sur le dalaï-lama n’en a pas moins continué à être admise par les adeptes du lamaïsme, et cette primauté est un fait tellement saillant dans le monde bouddhiste qu’elle a frappé, dès leur arrivée au Thibet, les premiers ambassadeurs envoyés au XVIIIe siècle par la Compagnie des Indes dans ce pays. « Le taschi-lama, écrivait en