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naturelle, médecine, — tout y a passé ! Son œuvre, c’est le chaos même de l’Empire qui se décompose !

Enfin il partagea la grande folie de l’époque : il fut un thaumaturge. Bien qu’il ait feint de s’en vouloir défendre, par mesure de prudence, on devine assez, à travers les lignes de son Apologie, que non seulement il l’était, mais qu’il tirait vanité de l’être.

Comment ne l’eût-il pas été ? C’était alors le moyen le plus sûr pour dominer les foules. Un homme comme lui, si avide de célébrité et d’applaudissemens, si fier de sa culture universelle, devait ambitionner la réputation de magicien. La magie était le couronnement de la science antique. C’est par là que celle-ci échappait au reproche de n’être qu’un amusement de dilettante. De même que la science moderne, elle tenait à s’affirmer active et bienfaisante. Le christianisme d’ailleurs poussait les païens dans cette voie. On se plaît trop aujourd’hui à le représenter comme un socialisme avant la lettre. Pourtant cette religion nouvelle n’a amené ni une révolution sociale, ni une révolution politique. Charité, pitié pour les humbles ! oui sans doute, elle a pratiqué ces vertus, mais ce n’est point par elles qu’elle a frappé surtout une société où les confréries d’esclaves, les œuvres de secours mutuels abondaient. En réalité, elle a été la guérisseuse des corps autant que la consolatrice des âmes. Elle s’est imposée par ses miracles ; elle offrait à la foi de ses fidèles le miracle par excellence, — la mort et la résurrection d’un Dieu : vérité que proclamaient, au milieu des supplices, des milliers de martyrs !

Qu’une arrière-pensée de concurrence, que le désir d’humilier les chrétiens aient conduit Apulée vers la magie, rien de plus plausible. Mais le merveilleux était, pour ainsi dire, dans l’air, autour de lui. Ce lettré, ce savant est d’une crédulité sans bornes qui annonce déjà le moyen âge !

Avec cela, il ressemble étrangement aux modernes, par l’encombrement de son esprit et par son intellectualisme stérile. Il a encore nos minuties médicales et hygiéniques. Car c’est le propre des générations moribondes de vivre dans une angoisse perpétuelle de la maladie, d’attacher aux soins physiques une importance excessive, de s’étioler ainsi dans une existence factice, si précaire et si misérable, que mieux vaut cent fois la belle insouciance du sauvage. Apulée se soigne méticuleusement.