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Négoce, d’intérêts immédiats ; et c’est l’intérêt encore qui domine, — ici plus qu’ailleurs, — les luttes politiques, extrêmement passionnées et très souvent sanglantes. L’édifice vraiment symbolique de Constantine, celui qui exprime le mieux le tempérament positif des habitans, c’est la Halle aux blés, qui s’élève sur la butte du Coudiat-Aty. Il faut la voir, les jours de marché, lorsque les chariots des campagnes avoisinantes y déversent leurs sacs de froment. On comprend alors que cette Halle est le centre et comme le sanctuaire du pays.

Dans un milieu aussi dénué de poésie, le voyageur en quête de couleur locale est réduit à se rejeter sur les masures du quartier arabe. Bien inférieures aux maisons mauresques d’Alger, elles sont basses pour la plupart, appuyées sur de petites colonnes trapues, peintes en rouge cru, ou badigeonnées d’un vilain bleu savonneux. Ces cambuses, qu’on dirait trempées dans du sang de bœuf ou dans des résidus de lavage, la puanteur des ruelles et des culs-de-sac, la sauvagerie des femmes aux joues fardées de vermillon qui vous happent sur les seuils des portes, — tout cela peut bien procurer quelques sensations violentes qui secouent fortement les nerfs, mais le pittoresque en est singulièrement monochrome. Une fois ces émotions épuisées, plus rien d’étrange ne vous sollicite. En dehors de ce ghetto, c’est la banalité moderne qui commence. Les bâtisses et les mœurs européennes ont tout envahi.

Sous cette couche de vulgarité, comment ressaisir la Cirta antique, la patrie du rhéteur Fronton, le maître de Marc-Aurèle, — la résidence de Salluste, propréteur de Numidie, la capitale que Syphax et Massinissa embellirent de temples et de palais gréco-puniques ? Ce ne sont point les quelques sculptures alignées autour des quinconces de l’Esplanade Valée, les maigres collections du musée, les débris des thermes romains épars dans la banlieue, qui sont capables d’en ressusciter l’image. Et pourtant, malgré cette disette de vestiges anciens, malgré les tramways, les cafés, les magasins, tout ce mouvement de trafic, on ne peut pas voir dans Constantine une contemporaine des autres villes algériennes. Est-ce sa position de vieille citadelle, campée en nid d’aigle au bord d’un précipice, qui produit cette illusion ? Mais, perpétuellement, on y est hanté par le souvenir d’une antiquité très lointaine qui se perd dans la nuit des origines…

Pour goûter ce sentiment dans sa plénitude, pour assister