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d’Innocent XI et par son mari de Grégoire XIII, et, en Rome triomphante, la duchesse Sforza Cesarini dont le général de Miollis entend être le seul et fervent cavalier. Il y a bien là quelque cavalier parti en sabots de son village d’Auvergne ou de Lorraine, coiffé peut-être du bonnet de la liberté, et qui, ayant connu Jemmapes, Arcole et Austerlitz, y a conquis épaulette et galons : celle qu’il initie aux mystères de la valse, — encore une importation française, — est la petite-nièce d’un pape qui a traité de haut les rois et les empereurs. On respire une atmosphère bizarre, fiévreuse, parfum romain et odeur des Tuileries, Corso et Palais-Royal, et on s’amuse avec la fougue de gens qui prévoient la brièveté de leurs plaisirs et de leur règne. Les théâtres sont pleins où l’on applaudit avec transport le ténor Tamburini et la « divine Malanotti » dans la musique de l’infortuné Zingarelli.

A l’Académie des Arcades, des séances solennelles permettent aux Romains de voir, sous un nouvel aspect encore, leurs maîtres d’un jour. Ces administrateurs parfois sévères sont des lettrés : ils savent Horace, Virgile et Anacréon. Les conseillers de la préfecture lisent des sonnets, les hauts agens de la police des rondeaux, et les employés supérieurs des droits réunis s’essayent à l’épopée. Les étrangers qui viennent à Rome en ce moment, Mme Récamier et sa camarilla, le jeune Lamartine, P.-Louis Courier, Forbin-Janson, Barras, la comtesse d’Albany, la grande-duchesse Constantin, le prince d’Anhalt, bien d’autres sont tous saisis du contraste qu’offrent les fêtes brillantes qui sans cesse remplissent de lumière et de musique les salons de nos fonctionnaires avec le spectacle d’un pays qui attend, frémissant, le moment où une dernière secousse jettera par terre le monument impérial.


A être incomplet, on s’expose à être injuste. Une situation politique, issue d’événemens regrettables et de mesures trop précipitées, a placé nos agens à Rome dans une posture où j’aimerais ne pas les laisser. La tâche politique si ingrate qui leur fut assignée n’absorba qu’une très petite partie de leur temps et de leurs efforts, et si, d’autre part, ils s’amusèrent, les cartons des Archives nationales témoignent éloquemment avec quelle inlassable activité ils travaillèrent.

De cette ville négligée, ils voulaient faire une cité de rêve, et, de ce pays appauvri, une colonie prospère, peupler la campagne