Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/641

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

congédiés du jour au lendemain par une maladroite mesure, se mettent à la tête des bandits qu’ils poursuivaient hier, gens sans scrupules qui, pour avoir été de médiocres gendarmes, n’en deviennent pas moins d’excellens voleurs.

La sympathie générale entoure ces braves gens. Les prêtres, exaspérés, nous verrons sous peu à la suite de quels événemens, ne sont pas loin de considérer ces misérables comme des insurgés politiques, vengeurs du Saint-Père, puisqu’ils font le coup de feu contre les gendarmes de Radet. Les propriétaires, accablés de nouveaux impôts, se réjouissent quand, ce qui arrive trop souvent, ces providentiels brigands enlèvent le percepteur en tournée ; les maires refusent de sonner le tocsin : ils disent qu’ils craignent plus les brigands qui resteront que les Français qui s’en iront ; l’un d’eux donne sa fille en mariage, solennellement, en plein jour, à l’église où officie le curé, à un des brigands les plus populaires de son pays.

Il faudrait ouvrir ici ces deux ou trois cents dossiers que recèlent les Archives de Rome et de Paris, on y trouverait l’histoire de ce brigandage sans précédent ; tous les genres d’exploits s’y rencontrent depuis le classique pillage de la diligence, — le courrier est arrêté jusqu’à trente fois entre Naples et Rome, Rome et Florence en ces années 1810, 1811, 1812 et 1813 — jusqu’à l’enlèvement d’un sous-préfet impérial aux cris ironiques de « Vive l’Empereur ! » On y verrait l’histoire presque monotone, à force d’être répétée, d’attentats plus obscurs. Les brigands, qui à tout instant annoncent qu’ils « vont venir jouer aux boules avec les têtes du maire, du juge de paix et autres agens de Bonaparte, » enlèvent en effet de préférence les nouveaux maires, même lorsqu’ils sont notoirement les ennemis du régime : l’excellent comte Pecci, maire de Carpineto, en sait quelque chose, ayant été pillé en 1812[1]. Un des maires, ayant dénoncé ses pillards, a été trouvé fusillé sous un beau chêne vert. Les meurtres deviennent innombrables, surtout au moment où s’organise la répression. Malheur aux bergers soupçonnés d’avoir trahi les bandits comme aux maires convaincus d’avoir ordonné les arrestations : ils sont égorgés, mutilés, brûlés. Lorsque le gouvernement, en désespoir de cause, fait arrêter les mènes et sœurs des bandits, ceux-ci, par

  1. Les bandits eussent pu rencontrer dans ce modeste palazzetto un enfant, le petit Joachim, né dix-huit mois, avant et qui devait être un jour Léon XIII.