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de « premier cours, » mais seulement un « plus haut » et un « plus bas, » entre lesquels certains coulissiers manœuvrent subtilement pour se ménager, dans l’exécution des ordres, un supplément de profit appelé « grattage. » S’ils portent ainsi les achats un peu plus cher et les ventes un peu meilleur marché qu’ils ne les effectuent réellement c’est, disent-ils, qu’ils ont une clientèle assez sujette à caution avec laquelle, pour se couvrir, il faut gagner davantage. Toujours est-il que ces bonis n’ont rien de secret, mais, au contraire, sont nettement spécifiés dans maintes cessions de maisons de coulisse que l’on déclare à l’acquéreur rapporter : tant en « courtage » et tant en « grattage. »

En période normale, le coulissier « inscrit à la feuille » offre au public toute garantie de solvabilité. Il n’en est pas de même des « non inscrits, » parmi lesquels se confond la tourbe des intermédiaires suspects. Ces « pieds humides, » suivant le sobriquet qui les désigne, parce qu’ils gravitent en plein air, à l’intérieur des grilles, exposés à l’inclémence des saisons, sont au commerce des valeurs ce que le marché du Temple, depuis peu disparu, était au commerce des habits. Seulement, dans ce coin pittoresque, dit des « chapeaux gras, » le titre qui fait l’objet du trafic est superbe. C’est un papier de fil, de pâte riche, de fabrication très soignée, sur lequel sont tirées en gravure des « obligations, » des « actions » pleines de promesses, qui n’ont rapporté d’argent qu’à l’imprimeur.

Le cours de chacune varie de 0 fr. 10 à 5 francs. Tel en achète 3 francs la douzaine et parvient, au bout de six mois, à les revendre 1 fr. 50 la pièce ; il a su faire courir le bruit que « les administrateurs allaient être forcés de verser une indemnité, » ou que « l’on avait repris l’étude du terrain » et « recommencé les sondages. > ; Parmi ces débris d’affaires chimériques et de sociétés en faillite, il se trouve de tout : des casinos et des ardoisières, des cimens et des accumulateurs, des banques et des eaux gazeuses, des mines, beaucoup de mines et des « jouissances » de chemins de fer lointains, qui ont dit un irrévocable adieu au dividende et à l’amortissement.

Cette « petite spéculation, » comme elle s’intitule, rejetée sur le trottoir de la Bourse, intéresse plutôt le philosophe que l’économiste. C’est un jeu de pauvres, sans influence sur la fortune publique et qui peut être innocent. Ce qui toujours est coupable, bien que rarement poursuivi, et ce qui pourrait intéresser le