Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/614

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’aujourd’hui ne gêne réellement en France que les 300 personnes désireuses d’exercer la profession d’agent de change.

Il n’existe pas de ville où les courtages soient meilleur marché qu’à Paris. En Angleterre comme en Amérique, pays où l’on est censé pratiquer le régime de la liberté en ces matières, des associations se sont constituées, si fermées que pas un représentant des plus grandes maisons françaises ne peut avoir accès au Stock-Exchange de Londres et les brokers, ou courtiers, du Royaume-Uni font payer leurs services trois et quatre fois plus cher que nos agens français. Leurs commissions ne descendent jamais au-dessous d’un certain minimum et arrivent ainsi pour des titres de très petit prix — pour certaines mines par exemple — à dix et douze pour cent du montant des valeurs négociées Le « monopole » nous garantit de ces exigences abusives d’intérêts privés, unis sous le couvert de la liberté, et le taux minime des courtages, réduits, en 1898, à 10 centimes pour mille francs, — il est, à New-York, de 0,25 centimes — est chez nous la rançon du privilège des courtiers. Nous y trouvons un autre avantage : aux heures difficiles, des agens solidaires s’inspirent confiance les uns aux autres ; tandis que, sur des centaines de coulissiers, un petit nombre seulement continue d’opérer et d’accepter les contre-parties de leurs confrères. En temps de crise, le marché libre se disloque et la plupart des carnets s’y ferment.

A côté de la Bourse légale existe en effet une bourse libre, aussi ancienne sans doute que le parquet. Dès 1810, les agens demandaient vainement au Conseil d’État la suppression de cette « coulisse ; » en 1825, lorsque la mort de l’empereur Alexandre Ier fit baisser le 3 pour 100 de 62 fr. 40 à 60 francs, ils renouvelèrent sans résultat leurs protestations, et le ministre Villèle fut accusé par les journaux de l’opposition d’avoir spéculé au café Tortoni, « qui est une bourse en permanence. » La coulisse se réunissait en effet, non seulement de midi à trois heures à la Bourse, mais le soir, de neuf heures moins un quart à dix heures, sur le trottoir, devant le passage de l’Opéra ; plus tard, dans le hall du Crédit Lyonnais, enfin à l’Eden-Théâtre et à la galerie Montpensier. Cette « petite bourse » est aujourd’hui supprimée ; mais sans doute de graves événemens la rétabliraient bien vite.

En 1859, les agens s’adressèrent aux tribunaux et parurent décidés à en finir avec la concurrence de la coulisse. Berryer la