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semble bon patriote, même quand il achète sans argent. Ennemi public au contraire est le vendeur « à découvert. » On l’accuse de déprécier le crédit. C’est lui que les régimes passés qualifiaient d’ « agioteur » et poursuivirent âprement.

Sous le premier Empire, à la veille de la rupture de la paix d’Amiens, il se produisit une baisse assez sensible. Napoléon fit venir Mollien et lui donna l’ordre de préparer un décret interdisant les ventes à terme, exactement comme le 1er mars 1904, — cent ans plus tard, — au début de la guerre russo-japonaise, — nos hommes d’Etat, qui avaient un peu perdu la tête, et peut-être quelque chose de plus, interdirent à la Chambre syndicale des agens de change la vente à découvert des rentes françaises, turques et espagnoles. Cette mesure illégale du gouvernement actuel fut vite rapportée. Napoléon, lui, s’était abstenu de la prendre. Mollien avait su l’en dissuader : « Sire, avait dit ce ministre, le porteur d’eau qui promet deux seaux pour demain fait une vente à découvert. — Il sait qu’il trouvera l’eau à la rivière, repartit l’Empereur. — Le vendeur à découvert est dans la même situation, répliqua Mollien, parce qu’il existe aussi une rivière de rentes où l’on peut puiser et qui coule toujours. »

Bien loin d’être une spéculation hasardeuse, la vente à découvert est, à certaines heures, une assurance raisonnable contre les risques de baisse. Tel banquier s’est chargé du placement de valeurs qu’il a prises ferme et où ses capitaux sont largement engagés. S’il survenait, pendant qu’il effectue cette opération, des événemens qui provoquassent un désarroi quelconque, il se trouverait compromis. Pour se garantir contre de pareilles éventualités, il se fait vendeur de rentes, afin de compenser, le cas échéant, par le profit à recueillir sur la baisse des fonds d’Etat, les pertes à éprouver sur les fonds qu’il détient en caisse.

Rien de plus heureux, pour une valeur de spéculation, que la présence d’un découvert étendu ; elle y trouve un matelas pour les chutes et un tremplin pour la hausse. Ce sont en effet les acheteurs à crédit qui font les débâcles et les vendeurs à découvert qui soutiennent les cours, puisque ce sont les seuls qui rachètent en baisse. Un exemple assez piquant est celui de ce gros vendeur, décédé subitement au lendemain de la déclaration de guerre japonaise, en 1904, liquidé d’office par ses agens et qui gagna ainsi deux millions à la Bourse après sa mort. En réalité haussier ou baissier ont même objectif : acheter bas et vendre