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baissiers, « bulls » ou « bears » disent les Anglais, parce que les premiers, confians, portent la tête haute et que les seconds vont la mine renfrognée. Les haussiers ont connu de beaux jours pendant le dernier quart du XIXe siècle, en raison de la baisse du taux de l’intérêt, qui a fait apprécier plus haut les valeurs appelées « de tout repos, » que le père de famille préfère malgré leur faible rendement. « Avec elles, dit-il, l’on mange mal, — ayant peu de revenus, — mais on dort bien. Avec des placemens plus rémunérateurs et moins solides on mange bien, mais on dort mal. » L’autre école, plus hardie, remarque, non sans fondement, qu’une rente d’Etat, parvenue au pair, ne peut monter ni en capital ni en revenus ; tandis qu’elle est susceptible de baisser en revenus — par suite des conversions — si les affaires vont bien, ou en capital, si les affaires vont mal.

Le joueur, qui ne cherche que des « différences, » ne voit pas les choses d’aussi loin. Il y eut, entre 1890 et 1893, une période pendant laquelle celui qui acheta de la rente française à terme, sans bourse délier, et se fit reporter chaque mois, bénéficia de la hausse du capital et en toucha l’intérêt annuel, sans presque payer de loyer pour le titre. De sorte que cette « position, » maintenue pendant quatre ans sur 3 000 francs de rente, dut lui rapporter net environ 17 400 francs.

On a fait des calculs analogues pour celui qui eût acheté le 3 p. 100 en 1882 et l’eût revendu en 1900. Mais ces constatations théoriques n’empêchent pas que, durant ces périodes, nombre de haussiers aient perdu de l’argent sur la rente, parce qu’ils n’ont pas, suivant l’avis plus facile à donner qu’à suivre, su « vendre et regretter. » N’importe ! La hausse est toujours populaire ; même les rentiers tranquilles, dans le fond de leur province, se réjouissent ou se lamentent chaque jour, d’après le cours de la Bourse, de l’enflement ou de la réduction d’un capital qui ne leur importe guère, puisqu’ils ne veulent à aucun prix le réaliser.

Rien de plus malfaisant que les hausses rapides, accès de folie en commun, pendant lesquels des étages d’acheteurs superposés se passent le flambeau ; tous satisfaits, parce que chacun revend avec bénéfice. Ces entraînemens sèment toujours la ruine ; cependant, au moment où tombe cette terrible semence, on la reçoit comme une manne du ciel. Même après le désastre, ceux qui l’ont provoqué trouvent encore de l’indulgence ; d’étonnantes fidélités s’attachent à leur malheur. Le haussier malgré tout