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souvent, ne se réaliseront pas en espèces, et que des opérations inverses annuleront à la fin de la quinzaine ou du mois ; à moins que les engagemens ne soient différés, — « reportés, » dit-on, — à une date ultérieure.

Jusqu’à 1885, les achats et ventes à terme étaient considérés par la loi comme non avenus. Nul ne pouvait être forcé de tenir sa promesse. On se contentait d’ « exécuter » celui qui ne payait pas, c’est-à-dire de lui interdire l’entrée de la Bourse. . ’Depuis que cette « exception de jeu, » qui, sous prétexte de moralité donnait des résultats immoraux, a été supprimée en France, elle a été admise en Allemagne, où elle n’existait pas il y a vingt ans et où le législateur se flatta, comme chez nous jadis, de décourager les marchés à terme en leur refusant l’existence officielle. Cependant, sous le régime de la restriction, le public allemand a spéculé plus que jamais et d’une façon folle. Ce qui prouve que les deux systèmes sont indifférens et que le frein efficace n’est pas dans la main de l’État.

Au surplus, il ne faut pas croire le terme toujours coupable et le comptant toujours innocent. Il s’est fait à New-York de terribles « pool » — poules — d’accaparement au comptant. A la Bourse des marchandises la spéculation est le commerce même ; elle approvisionne les marchés et, par elle, les prix s’équilibrent d’une mer à l’autre, comme les flots. Une consignation de 100 balles de coton, à Liverpool, changea de mains nominalement cent cinquante fois, avant d’arriver au consommateur. En certaines industries, l’opération à terme est le contraire du jeu ; c’est une garantie contre les risques. Le minotier s’expose aux variations bonnes ou mauvaises des cours, s’il ne vend pas à terme la farine correspondante au grain qu’il vient d’acheter au comptant.

Pour les valeurs, le marché à terme est un tampon ; grâce à lui, il existe toujours une réserve d’acheteurs et de vendeurs. Ces joueurs, grands et petits, sont le ferment, le microbe nécessaire à la vie de la Bourse, et combien ce rôle leur coûte cher ! Ils se ruinent tous, plus ou moins vite, plus ou moins complètement ; en général, ils ne durent guère plus de dix ans. L’histoire en connaît un sur mille qui réussit : tel cet enfant de Salonique, débarqué à seize ans, après la guerre de 1870, chez un sien oncle coulissier à Paris ; à vingt et un ans, il avait gagné deux millions sur la hausse de la rente française et s’établissait pour son