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réprobation générale, en laissant à l’actif du Crédit Foncier des créances, devenues excellentes, qui firent la prospérité de cet établissement pendant quinze ans, sous un successeur plus heureux qu’habile.

Deux types distincts de spéculateurs coexistent dans le monde de la finance : l’un exploite directement la Bourse, joue sur le papier créé et escompte les variations de cours qui résultent di : progrès ou du malaise des États. L’autre crée des valeurs d’État ou succédanées et, si ses moyens trop faibles lui interdisent d’agir par lui-même, il met son génie inventif au service de plus puissans dont il utilise les capitaux et l’influence.

Au Conseil de la Banque impériale ottomane, rue Meyerbeer, siégeaient alors les plus vieux noms et les plus estimés de la place, ceux parmi lesquels la Banque de France recrute ses régens. Pourtant, le jour où le gouvernement turc suspendit ses paiemens, la Banque ottomane, désespérant de rentrer dans les 30 millions qui lui étaient dus, se mit à vendre ses créances avec 80 pour 100 de perte. Des banquiers de Galata s’empressaient de les racheter, et les repassaient à la Turquie pour leur valeur initiale dans des prêts nouveaux. Contre une obligation de 107 francs, ils versaient 50 francs d’espèces et 80 francs de papier déprécié qui leur coûtait 10 francs.

Tout à coup les choses, à Paris, changèrent de face. Il survint un jeune courtier, fort inconnu, qui sut révéler à la haute banque sa puissance, dont elle n’usait pas, et l’amena d’abord à croire elle-même aux valeurs turques qu’elle avait créées, et en qui elle n’avait plus foi. Son plan consistait à recouvrer directement certains impôts et revenus de l’Empire ottoman, et à donner solidité à la dette du gouvernement turc en se substituant à lui. L’opération ayant réussi, les perceptions ainsi faites donnant des excédens, il s’établit une atmosphère spéciale autour de ces fonds d’Orient, dont la capitalisation s’éleva à un taux supérieur puisqu’ils devenaient des fonds européens.

Sous le couvert des affaires turques se firent aussi les premiers syndicats entre les financiers de France et d’Allemagne, à une époque où les deux nations [demeuraient encore très séparées. Ces placemens internationaux, qui s’accroissent maintenant en Asie par la création des chemins de fer, emmêlent les intérêts des peuples et modifient leurs sentimens. Si, là où est votre trésor là n’est pas toujours votre cœur, il n’est pas moins vrai