Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tour militaire par à peu près, ingénieur sans brevet, naturaliste amateur, aussitôt dégoûté de ce qu’il avait entrepris et agité du besoin d’un perpétuel changement, il avait vécu d’expédiens. D’ailleurs bien tourné, joli garçon, pas trop timide, il plaisait aux dames. Il eut de nombreuses bonnes fortunes dont il espéra toujours, quoiqu’on vain, un avancement pour sa fortune. Aimé Martin les a contées complaisamment, et avec une sorte de fierté comme s’il en rejaillissait sur lui-même quelque gloire. Bernardin fut-il le favori d’un jour de la grande Catherine ? Le savant M. Souriau n’en sait là-dessus pas plus que nous, et il nous laisse libres d’en penser ce qu’il nous plaira. Mais n’ne veut pas que Bernardin ait été l’amant heureux de la princesse Marie Misnik. Au dire des précédens biographes, c’est auprès de cette belle Polonaise que Bernardin aurait connu le grand amour ; et il aurait dû aux souvenirs de cette passion, d’abord satisfaite, ensuite déçue, ces accens du cœur qui, plus tard dans ses écrits, allèrent au cœur des femmes et remuèrent si fort les « bernardines ! » M. Souriau fait de louables efforts pour ramener cette aventure aux termes d’une honnête galanterie. C’est une affaire qui lui parait de conséquence. Toutefois, sa démonstration est moins probante qu’il ne croit ; car elle se réduit à deux argumens : l’un que Bernardin, sur son journal, a négligé de consigner l’heure du berger ; l’autre, qu’il a emprunté de l’argent à la princesse. Voilà de médiocres garanties. Elles risquent de ne pas prévaloir contre des témoignages qui émanent de Bernardin lui-même et que M. Souriau, suivant une méthode commode et dont il abuse, écarte tout uniment.

C’est en fouillant les papiers du Havre que M. Maury avait trouvé des notes retraçant dans un cadre allégorique une fête donnée par la jeune Églé un certain soir, ce soir même où le ‘beau Tilé fut le plus heureux des hommes. Il est difficile de ne pas reconnaître dans le portrait du beau Tilé celui de Bernardin peint par lui-même. « Jeune, fait comme Adonis, un léger coton couvrait ses joues comme la pêche. Il portait un gros bouquet ; il l’offrit, elle M’accepta et le mit sur son sein. Il rougit en prenant sa main et elle rougit aussi. Ainsi il était tour à tour poursuivant, poursuivi. Bientôt les yeux ne virent plus que les yeux. Deux tables étaient sous d’épais feuillages... » Ces galanteries mythologiques reçoivent leur commentaire très précis d’une lettre de Bernardin à son ami Duval, publiée naguère par Sainte-Beuve. « Je vous dirai, mon cher ami, car je ne vous cache rien, que j’ai fait ici une inclination qui pourrait mériter le nom de passion. Elle a produit de bons effets en ce qu’elle m’a guéri de mes