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Quand le soir est plus las qu’une molle colombe,
Et que l’air est troublé d’un si lourd embarras
Qu’on voudrait soulever et prendre dans ses bras
Toute cette douceur du soir divin qui tombe,

Je le sais, dans ces soirs, petits adolescens.
Oppressés jusqu’au cœur d’un désir sans limites,
Votre angoisse, vos chants, votre frayeur imitent
Les soupirs désolés qui vivent dans mon sang.,

Vous regardez autour de vous, vous voulez tendre
Un long filet d’amour sur le bel univers,
Et déjà vous mourez de ce silence vert
Plein des frissons secrets qu’une âme peut entendre ;

Un train passe, et voici que ce sifflet strident
Qui s’élance, grandit et disparaît vous tue.
Et dans l’ombre aplanie où toute voix s’est tue
Vous broyez votre espoir immense entre vos dents.

Vous rêvez, vous courez, vous soulevez la tête,
L’espace étant étroit vous cherchez l’infini ;
Alors pareil au vent, à la cigale, au nid,
Mon chant glisse vers vous sa simple et chaude fête.

Solitaires charmans qui rêvez dans un parc,
Enfans que vient blesser la seizième année.
Et qui, lassés des fleurs que vos doigts ont fanées
Cherchez les jeux cruels de la flèche et de l’arc.

Je le sais, vous prenez quelquefois l’humble livre
Où mes luisans rosiers ont toute leur fraîcheur,
Où les chuchotemens avides de mon cœur
Sont le vol d’une abeille éternellement ivre.

Et sentant que l’été ne m’est pas plus léger
Qu’il ne l’est à votre âpre et frêle adolescence,
Que je me trouble aussi pour une molle essence.
Pour les mille parfums d’un seul vert oranger,