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toute sécurité dans la rade des Basques, et y exécutait ses réparations comme sur une rade anglaise. Ce projet, que j’avais étudié dans tous ses détails, resta alors sans exécution. Il fut question de le reprendre en 4813. Le ministre, avant de me le confier alors, crut devoir consulter le préfet maritime de Rochefort, M. de Bonnefoux, qui déclara le projet irréalisable et ne pouvant sortir que d’un cerveau brûlé. Il est certes plus facile de se chauffer les pieds dans son cabinet que d’exécuter une entreprise de ce genre, mais il est certain aussi qu’à la guerre, une bonne dose d’enthousiasme sert plus au pays que l’excès de prudence et de réflexion. On trouve toujours assez de gens pour pratiquer ces dernières qualités.

Enfin après cinq ans d’absence, lord Northesk rentra en Angleterre. La guerre contre Napoléon avait pris un tel caractère d’acharnement, que l’amirauté refusa d’abord de ratifier la promesse qui m’avait été faite au lendemain de Trafalgar. Quand l’amiral me fit connaître cette décision, je lui répondis dans des termes si offensans pour le peuple chez qui la parole d’un officier général était ainsi méconnue, qu’il fut piqué au vif, et, à la suite d’une grave discussion avec les lords de l’amirauté, il obtint que je serais porté en tête de la liste d’échange. Six mois après je fus rendu à la liberté.


V
Retour en France. — Je suis nommé lieutenant de vaisseau. — Embarquement sur la Dryade. — Combat du Romulus. — Le naufrage de la Méduse.


Je rentrai en France au mois de mars 1811, étant encore enseigne de vaisseau. La marine était pour ainsi dire anéantie, et quelques frégates isolées soutenaient encore sur les mers l’honneur du pavillon. Quand on lit les récits des glorieux combats qui furent livrés à cette époque, particulièrement dans les mers des Indes, on pense à ce qu’il eût été possible d’obtenir de nos marins et de nos vaisseaux, s’ils eussent été bien commandés et bien armés. Napoléon ne sut ou ne voulut pas le comprendre : nous l’avons payé bien cher, et lui aussi par suite.

Mon père était mort en 1802, mes deux frères absens ; il me restait encore à Rennes quelques vieux parens, auprès desquels je passai quelques jours avant de me rendre à Paris. Je fus alors