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fond que l’on doit faire sur la parole des Anglais : celle du comte de Northesk, contre-amiral et pair du royaume, paraissait cependant de celles sur lesquelles on aurait pu devoir compter. Je dois lui rendre cette justice qu’il ne la renia jamais. Les nombreuses lettres que je reçus de lui, en réponse à celles dont je le poursuivais sur toutes les mers du globe, déplorent sans cesse l’impuissance où il se trouve de faire ratifier par l’amirauté anglaise la promesse qu’il m’avait faite dans un élan de générosité.

Le Royal Sovereign nous conduisit à Portsmouth. Avant qu’il eût été statué sur le sort des officiers prisonniers, nous fûmes transbordés sur des pontons, pêle-mêle avec nos matelots. Je fus attaché à un plat de dix hommes dont faisaient partie mon domestique et un nègre. Jamais ces braves gens ne voulaient toucher au plat avant que j’eusse pris la part entière qui me revenait, et alors seulement ils consentaient à piquer dans la gamelle la maigre pitance due à la générosité des Anglais. Des officiers du Royal Sovereign étant venus quelques jours après me faire une visite, tombèrent au moment du repas, et purent juger par eux-mêmes de la manière dont nous étions traités. Ils en parurent très humiliés et m’en marquèrent très affectueusement leur regret. J’ai bien souvent constaté la noblesse de cœur des Anglais pris à part, en même temps que l’absence totale de scrupules qui semble présider à tous les actes de leur gouvernement.

Peu après je fus mis en demeure d’opter entre la prison sur les pontons ou la résidence sur parole dans une ville de l’intérieur. Comptant toujours que ma captivité serait abrégée, et tenant avant tout à conserver les moyens de faire les démarches nécessaires pour ma mise en liberté, je choisis ce dernier parti. J’aurais bien mieux fait de choisir la prison pure et simple, d’où j’aurais trouvé cent fois moyen de m’échapper.

Au moment de nous séparer, mes compagnons de l’Intrépide me témoignèrent la plus touchante affection ; je partageai tristement avec ces braves matelots les dix louis qui faisaient toute une fortune, et je partis pour Tiverton, qui m’avait été désigné comme lieu d’internement.

C’était une petite ville assez plaisante, mais qui me parut singulièrement monotone après la vie agitée à laquelle j’étais accoutumé. Ma solde, réduite de moitié, montait à cinquante francs par mois, qui devaient suffire à tous mes besoins, dans