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d’eux ne restait inactif ; l’avantage du vent leur avait permis de se porter partout où leur présence était nécessaire, négligeant les vaisseaux souventés qui ne pouvaient prendre part que de loin à l’action, et qui devaient succomber en détail dans des luttes stériles. De plus, la supériorité de l’artillerie chez nos adversaires était telle, qu’en peu d’instans nos équipages se trouvaient décimés, tandis que les leurs ne subissaient que des pertes relativement faibles.

Quand nous arrivâmes dans les eaux du Bucentaure et du Redoutable, leurs mâts étaient tombés, leur feu presque éteint, l’héroïsme de leurs défenseurs faisait seul continuer une lutte inégale et sans espoir, contre des vaisseaux presque intacts, dont les volées se succédaient sans relâche. C’est au plus fort de cette mêlée que le commandant Internet nous mena. Il voulait, disait-il, dégager l’amiral, le prendre à son bord, et rallier autour de nous les vaisseaux qui étaient encore en état de combattre. L’entreprise était insensée et lui-même ne pouvait y croire ; c’était un prétexte qu’il se donnait pour continuer la lutte, et pour qu’il ne fût pas dit que l’Intrépide avait quitté le champ de bataille tant qu’il lui restait un canon et une voile. Noble folie qui nous coûta bien cher, mais que nous fîmes avec joie et que d’autres auraient dû imiter !

Nous eûmes l’honneur d’attirer sur nous de nombreux adversaires : le Leviathan, l’Africa, l’Agamemnon, l’Orion, le Téméraire de 100 canons, s’acharnèrent sur nous, et quand, après cinq heures du soir, nous amenâmes notre pavillon, le seul qui flottât encore, l’Intrépide n’avait plus un bas mât, il avait perdu les deux tiers de son équipage, et, criblé de boulets, les mantelets des sabords arrachés, il faisait eau de toutes parts. Mais du moins l’honneur était sauf, la tâche accomplie, le devoir rempli jusqu’au bout.

Je passai tout le temps du combat sur le gaillard d’avant où j’étais chargé de la manœuvre et de la mousqueterie ; c’est de là aussi que je devais mener ma compagnie à l’abordage ; c’était mon plus ardent désir que je ne pus malheureusement réaliser. Une de mes préoccupations fut d’empêcher la mâture de tomber, et je réussis à conserver assez longtemps le mât de misaine, qui nous permettait encore de manœuvrer un peu. Au plus fort de l’action, le vaisseau anglais l’Orion passa sur notre avant pour nous lâcher sa bordée d’enfilade ; je disposais mes hommes pour