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de courage nécessaire pour tenter la fortune et pour la dompter. Il ne crut jamais au succès du plan auquel il devait concourir, et sa défiance se communiqua bientôt à tous ceux qui servaient sous ses ordres. L’enthousiasme se refroidit, l’activité diminua ; il sembla qu’on eût perdu en quelques semaines toute chance de vaincre, et que le seul but à atteindre fût d’éviter désormais le plus longtemps possible la rencontre de l’ennemi.


VII
Départ pour les Antilles. — Démission de mon frère Olivier. — Sa mort. — Sauvetage de Grévillot. — Combat du cap Finistère. — Le commandant Infernet.


Nous tentâmes le 17 janvier 1805 une première sortie dans laquelle plusieurs vaisseaux firent de grosses avaries ; il fallut rentrer à Toulon pour les réparer. Nous en repartîmes le 29 mars à destination des Antilles, et alors commença cette interminable traversée, où mal commandés, retardés par des navires d’une marche inférieure, nous parcourûmes les mers, comme hantés par le spectre de Nelson, pour aboutir six mois plus tard au désastre de Trafalgar.

La fortune cependant parut d’abord nous favoriser. Nelson apprenant que l’escadre française avait quitté Toulon se lança à sa poursuite, et trompé par certains indices et par de faux bruits habilement propagés, il alla la chercher jusqu’en Égypte, pendant que nous opérions tranquillement le 8 avril à Cadix notre jonction avec l’escadre espagnole. Nous fîmes voile alors directement pour la Martinique, où nous n’arrivâmes que le 12 mai. Les vaisseaux espagnols ne pouvaient nous suivre ; ils avaient leurs bonnettes dehors, tandis que nous naviguions avec nos seuls huniers amenés sur le ton. Il en résulta un retard qui permit à l’escadre anglaise de nous rejoindre, ce qui n’aurait jamais dû arriver.

L’ennui de cette traversée, l’incertitude du commandement avaient amené un certain énervement, dont une conséquence fut qu’en arrivant à la Martinique, mon frère Olivier, alors aspirant sur le vaisseau le Fougueux, donna sa démission. J’essayai de l’en détourner, mais il me déclara qu’il était las de cette vie de paresseux, et qu’il allait faire la guerre aux Anglais pour son compte et à sa manière. Il avait fait la connaissance de marins