Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crime, qui caractérise les alcoolisés modernes, fils dégénérés des Gaulois. » Partout, au Nord, à l’Est, à l’Ouest, retentit la même protestation impuissante : on trouve de l’argent pour le cabaret, on n’en trouve pas pour les besoins du ménage. L’Assommoir est le salon du peuple, il se multiplie à l’infini, et nous tournons dans un cercle vicieux ; les cabaretiers deviennent les meilleurs électeurs des députés, ceux-ci n’osent pas leur déclarer la guerre : devant eux se dresse, Mané Thécel Pharès moderne, la terreur de la non-réélection. A Éton, Meuse, commune de 300 habitans, un témoin bien informé évalue à cent hectolitres par an la consommation de l’eau-de-vie ; à Flaucourt, Somme, village de 500 âmes, le montant des droits sur l’alcool payé par les débitans s’élève à 11 000 francs en 1898, ce qui représente une consommation de 70 hectolitres d’alcool pur ; naturellement on ne tient pas compte de ce qui se boit dans les débits clandestins et chez les producteurs ou bouilleurs de cru. Dans beaucoup de villages normands et bretons, les ménagères font la soupe à l’eau-de-vie. Dourlers (Nord) compte 35 cabarets pour une population de 725 habitans. D’ailleurs le nombre total des débits de toute sorte dépasse, en France, 465 000, un débit par 82 habitans. Jusqu’à présent, une partie de notre territoire semble indemne du fléau, la zone du Midi et une partie du Centre, les départemens où la boisson habituelle est le vin.

Elles s’en vont aussi grand train, les coutumes locales, feux de la Saint-Jean, bouquet des moissonneurs, mais, jeux populaires, contes de la veillée, chansons, et, avec elles, diminuent la gaieté, la santé morale de la race. Les cultivateurs fréquentent un peu trop les foires et les marchés. « Bien que tous les journaux donnent le prix des denrées et qu’ils puissent se renseigner à domicile, ils préfèrent, sous prétexte de suivre la vente, faire de folles dépenses, et négliger la conduite de leurs fermes. » (Monographie sur Moulins, Deux-Sèvres.) « Nous avons peut-être deux cents foires à dix lieues à la ronde. Combien s’y rendent inutilement, sous des motifs futiles, et dépensent un argent dur à gagner, toujours bon à garder ! » (Etude sur Laparade, Lot-et-Garonne.) — N’exagérons rien cependant : des foires, pas trop n’en faut, mais il en faut : car elles sont le Luxembourg et le Palais-Bourbon des cultivateurs ; là, dans son milieu, il règne, et il faut le voir marchander, acheter une paire de bœufs, une litée de petits cochons, tour à tour subtil, éloquent,