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n’a plus à payer que ses dépenses somptuaires, la toilette, le médecin, les voyages en chemin de fer. Peut-être aussi pourrait-il augmenter le rendement du lait et du bétail.

J’ai fait récemment un petit voyage en Beauce, causé avec quelques gros fermiers, visité leurs exploitations et, chemin faisant, noté leurs dires. Par exemple, voici le résumé d’une conversation avec l’un d’eux.

Il a quarante ans, sa femme trente-deux, trois jeunes enfans de sept à douze ans ; ses parens avaient déjà vécu sur cette ferme pendant trente-cinq ans et réalisé très peu d’économies, mais élevé leurs cinq enfans. La ferme comprend 212 hectares, dont quinze hectares de bois médiocres ; location actuelle 4 000 francs, prix très bas ; dans d’autres fermes, la terre, de qualité supérieure, se loue jusqu’à cinquante francs l’hectare. Le preneur paie l’impôt : douze cents francs, et le bailleur conserve le droit de chasse qu’il loue cinq cents francs, mais il a à sa charge les grosses réparations qu’on peut évaluer à mille francs par an. Cette ferme vaut un peu plus de cent mille francs ; autrefois elle s’est vendue cent cinquante mille francs : point de prés, il faut recourir aux prairies artificielles

M. X... a commencé il y a une douzaine d’années, et les débuts ont été très difficiles. L’année 1893, une année terrible pour l’agriculture, a pesé lourdement sur lui ; en 1895, la situation ne s’améliorait point, on avait envie de jeter le manche après la cognée ; et puis on a vu clair, et l’on a fait du courage comme les dames font de la tapisserie, point par point. Le maître, comme on dit en Beauce, est intelligent, débrouillard, ingénieux ; sa femme le seconde à merveille : selon un dicton franc-comtois, la poule aide à gratter au coq. Et petit à petit ils ont triomphé : entrés dans la ferme avec quinze mille francs au plus, ils possèdent aujourd’hui un matériel de culture et des économies qui représentent environ 80 000 francs. Ils ont su, ils ont pu attendre.

Les dépenses oscillent entre 22 et 26 000 francs ; on paie 4 à 600 francs les domestiques, un seul, un petit jeune homme n’a que 300 francs. En moisson, les journaliers reçoivent cinq francs et sont nourris ; de la Toussaint à la Saint-Jean, un franc cinquante par jour ; de la moisson à la Toussaint, deux francs cinquante. On tue par an quatre porcs de cinq cents livres : la viande deux fois par jour, la trempée au lait à quatre heures ; le