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armes des légistes), rouillées et inutiles à son avis, mais riches encore d’une très haute valeur intrinsèque, si elles avaient pu servir comme de contre-partie (corrispettivo] et d’échange dans le traité qu’il se proposait de conclure avec l’Église... La liberté de l’Église aurait continué à être dans ses mains un moyen politique et diplomatique, elle n’aurait jamais eu pour lui valeur et dignité de fin. Ne nous laissons pas tromper, comme la plupart de ses admirateurs, par les splendides paroles avec lesquelles il exposa et recommanda la liberté de l’Église au Parlement et ailleurs. De sa bonne foi à les prononcer, il n’est permis à personne de douter ; elles répondaient par surcroît aux réminiscences théoriques de sa jeunesse, et à la confiance, démontrée vaine désormais, que les tendances du siècle étaient conformes à la solution par lui proposée. Mais il n’en est pas moins vrai que ces considérations tinrent, dans les desseins de Cavour, une place très secondaire. C’était comme le pavillon destiné à couvrir la marchandise. » L’année précédente déjà, dans la même revue, la Nuova Antologia, M. Padelletti avait pris à témoin « quiconque connaissait l’esprit éminemment pratique du comte de Cavour et la genèse de sa célèbre formule, » de ce qu’elle n’avait été et n’avait pu être dans sa pensée qu’une arme politique[1]. Et il y insistait si fort que le confident, le conseiller de Cavour, son unique conseiller pour les affaires romaines, l’illustre Marco Minghetti, croyait devoir intervenir pour rectifier : « Qu’en énonçant cette formule, Cavour considérât aussi les circonstances où se trouvait l’Italie et l’opinion publique de l’Europe qui nous accusait de vouloir faire de la Papauté l’esclave et l’instrument du nouveau royaume, j’en conviens ; mais, outre ces raisons spéciales et diplomatiques, pour employer les expressions de M. Padelletti, il y avait encore chez le comte de Cavour l’intime conviction que le système juridictionnel ne convenait plus aux temps modernes, et que seule la liberté aurait pu résoudre le difficile problème[2]. » Le système juridictionnel, les précautions, les restrictions, et les constructions des légistes, s’il faut en juger par ce qu’il en a dit, il semble en effet que Cavour les ait eus en petite estime. Dans toute leur correspondance, ils

  1. Guido Padelletti, Scritti di diritto publico, 1880, Florence, Pellas ; reproduisant entre autres deux articles de la Nuova Antologia de janvier 1874 et juillet 1875.
  2. Minghetti, Stato e Chiesa, 1878. Milan, Hœpli (1re édition, p. 68, note 3). Traduit en français sous le titre : l’État et l’Église. Alcan.