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Antonelli, à ne remettre que lorsqu’il sera bien établi que l’on traite, et que l’on traite sérieusement. Je confierai aussi à Molinari une lettre ostensible pour vous et pour Passaglia.


A ce détail, on peut mesurer le chemin parcouru, ou que Cavour, d’après les informations de Pantaleoni et le témoignage du Père Passaglia, croit parcouru. Lui qui n’a cessé de répéter : « De la prudence ! De la réserve ! Ne vous montrez pas, ne me laissez pas entrevoir ; vous me connaissez à peine, je ne vous connais pas ! » le voilà maintenant qui accrédite, éventuellement, il est vrai, mais qui accrédite le Père Passaglia et Pantaleoni. Cavour ne néglige pas du reste d’envoyer des munitions :


J’ai remis à Passaglia 100 napoléons d’or, en l’invitant à vous les consigner... Je vous donne toute faculté de dépenser ce que vous jugerez nécessaire pour gagner l’amitié (amicarsi) des agens subalternes de la Curie. S’il y avait lieu de recourir à des moyens identiques, mais sur une plus large échelle, pour les gros poissons (pei pesci grossi), vous me l’indiquerez et je verrai à les mettre en œuvre, en me servant toutefois d’une autre voie que de celle des négociateurs, qui, à mon avis, doivent rester étrangers à cette partie la moins belle de notre entreprise[1]...


Quelle fut « l’autre voie » et quels devaient être « les gros poissons ? » L’ « autre voie » fut-elle le cavalière avvocato Salvatore Aguglia, qui, plus tard, a raconté, à ce propos, — soit dit sans nulle insinuation, — une véritable « histoire de brigands ; » lui et ses deux correspondans, l’abbé Isaïa et Omero Bonzino ? Mais plutôt, ces trois personnages paraissent avoir fait figure de naïfs ; et de toute cette intrigue, où il s’agit d’acheter pour trois millions le cardinal Antonelli, en réservant par surcroît de bonnes petites affaires à sa famille, le principal artisan avait été sans doute Antonelli lui-même, qui espérait, selon le mot de Pantaleoni, prendre Cavour « les mains salies de cette triste poix. »

Comme par hasard, il s’était en effet rencontré qu’aussitôt la trame découverte, Aguglia et l’abbé Isaïa avaient, pour qu’ils fussent en sûreté, fait porter leurs papiers au Père Passaglia, lequel habitait chez une dame anglaise. Le cavalière Aguglia, le Père Passaglia, Pantaleoni, Cavour, on établissait ainsi la liaison, et de Cavour à Antonelli, de Cavour, auteur premier, à Antonelli,

  1. L’Idea italiana, Documenti, XXIII. Lettera dcl conte Cavour, 11 février 1861, p. 196.