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[1]. » Mais la volonté ne suffit pas : la fin était certaine, on chercherait les moyens. Une fin unique, tous les moyens : mais encore lesquels entre tous et de préférence ? Là-dessus, Cavour aimait mieux se taire. Savait-il, quelqu’un savait-il ce que seraient dans six mois l’Italie et l’Europe ? Quelque « mathématicien de la diplomatie » pouvait-il lui donner « cette inconnue ? » Quant à lui : « J’ai affirmé et je répète, disait-il, que le problème de Rome ne peut être résolu par l’épée toute seule ; l’épée est nécessaire, elle le fut et le sera encore pour empêcher que des élémens hétérogènes viennent s’immiscer dans la solution de cette question ; mais, messieurs, le problème de Rome ne peut être résolu par l’épée toute seule, les forces morales doivent concourir à sa solution... » Les forces morales... la liberté... « Je crois que la solution de la question romaine doit découler de la conviction qui ira toujours croissant dans la société moderne, et même dans la grande société catholique, que la liberté est hautement favorable au. développement du vrai sentiment religieux[2]. » À ce moment déjà, le bon mathématicien que Cavour avait été dans sa jeunesse, le maître « mathématicien de la diplomatie » qu’il était devenu, apercevait la solution élégante du problème, le plus sûr, sinon le plus court chemin qui eût conduit l’Italie de Turin à Rome, avec l’agrément de la France et le consentement du Pape. Comment il espérait obtenir l’agrément de la France, c’est un point très intéressant, mais ce n’est pas notre sujet ; comment il se flattait, comment il essaya d’avoir le consentement du Pape, c’est une curieuse aventure, et c’est notre sujet lui-même.

On va voir le comte de Cavour, avec, pour mot de passe : l’Église libre dans l’Etat libre, mener l’Italie à l’étoile, en s’attachant au pied et en tenant à la main trois ou quatre fils. Pour retrouver ces fils et pour les suivre, nous descendrons un peu dans les dessous de la politique et de l’histoire : comme Bismarck, et plus encore peut-être, parce qu’avec un même dessein et une égale audace, disposant d’une force moindre, il était tenu à plus de ménagemens et de manèges, obligé de faire plus souvent, selon la comparaison de Machiavel, le renard que le lion, Cavour excellait à les machiner.

  1. Discorsi parlamentari, XI, 261.
  2. Ibid., p. 261-262.