Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

portée exacte entendait-il lui donner ? Qu’était-ce pour lui que « l’Église libre, » et qu’était-ce que « l’État libre ? » S’agissait-il, dans sa pensée, de l’Eglise universelle et de l’État en général ? Ou seulement de l’Église romaine et de l’État italien ? Était-ce une maxime, lapidaire et définitive, un axiome frappé en médaille ou en monnaie à l’usage du politique, valable pour tous les temps et pour tous les pays dans toutes les circonstances. Ou n’était-ce, au contraire, qu’une solution, un expédient, et comme une recette, — à parler sans irrévérence, — bonne simplement pour un temps et pour un pays dans une circonstance qui passe ; bonne, en 1860, pour le Piémont qui cherchait la manière d’aller à Rome ? Était-ce moins encore, comme on l’a prétendu : un paravent, un trompe-l’œil, « le pavillon qui couvre la marchandise ? » Voilà ce qu’il serait intéressant, ce qu’il serait utile, mais ce qu’il n’est pas facile de fixer. L’apparente clarté de la formule n’est en effet qu’une fausse clarté ; et ce serait faire injure à une intelligence aussi nette, aussi puissante, aussi pénétrante que l’intelligence d’un Cavour, d’oser insinuer qu’il n’a peut-être pas très bien su lui-même ce qu’il voulait dire : il l’a sans doute très bien su, — car il savait tout ce qu’il voulait, — mais il ne l’a jamais très explicitement dit.


I

La première expression publique de la règle : « l’Église libre dans l’État libre » se trouve dans le discours prononcé par le comte de Cavour, devant la Chambre des députés de Turin, le 27 mars 1861, à l’occasion de l’interpellation du député Audinot. Le passage vaut d’être traduit littéralement :


Il reste, déclarait Cavour, il reste à persuader le Pontife que l’Église peut être indépendante, en perdant le pouvoir temporel. Mais ici il me paraît que, lorsque nous nous présentons au Pontife et que nous lui disons : « Saint-Père, le pouvoir temporel n’est plus pour vous une garantie d’indépendance ; renoncez-y, et nous vous donnerons cette liberté que vous avez en vain demandée depuis trois siècles à toutes les grandes puissances catholiques ; cette liberté dont vous avez essayé d’arracher quelques lambeaux (strapparne alcune porzioni) au moyen de concordats par lesquels vous étiez contraint, en compensation, de concéder des privilèges, et même pis que des privilèges, de concéder l’usage des armes spirituelles aux puissances temporelles qui vous accordaient un peu de liberté ; eh bien ! ce que vous n’avez jamais pu obtenir de ces puissances qui se vantaient d’être vos alliés