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la Chine ; et les conversations qu’il tint alors avec MM. Bogie et Turner, les ambassadeurs de Warren Hastings, et rapportées par eux sont en faveur de cette supposition. Attiré insidieusement à Pékin, le Taschi-lama avait payé de sa vie, d’après l’opinion générale au Thibet, cette démarche, et son successeur dans la régence du royaume, ayant manifesté la même sympathie pour les Anglais, avait encouru la disgrâce de l’empereur de Chine et avait dû, pour éviter la mort, s’enfuir du Thibet et se réfugier au Népal. Il est naturel que les Thibétains, voyant le dévouement de leurs princes si mal récompensé, aient conçu dès lors de l’aversion pour les Anglais. D’autre part, le général chinois qui commandait, dans cette guerre, les troupes thibétaines et chinoises, outré de la conduite des Anglais qui avaient pris fait et cause pour ses adversaires, les dépeignit à la cour de Pékin sous des traits défavorables, représenta ces « diables d’Occident » comme des ennemis secrets et dangereux, des gens à double face, et des voisins incommodes. On sait que les Chinois sont à l’égard des étrangers extrêmement soupçonneux. La Cour de Pékin adopta les idées et les conclusions du général chinois et prit des dispositions en conséquence. Des redoutes furent établies sur la frontière du Thibet, du Sikkim et du Boutan, et des garnisons y furent laissées pour les défendre. Gardant avec leur vigilance et leur jalousie accoutumées les divers postes qui furent alors créés, les Chinois interrompirent toute communication entre le Thibet et l’Inde. Ils ne laissèrent plus passer d’étrangers, même lorsqu’ils étaient Hindous. Les pèlerins bouddhistes venus de l’Inde devinrent aussi l’objet de la défiance chinoise : on ne les regarda plus que comme des espions au service de l’étranger. Même on les chassa de Taschi-lumbo où ils résidaient en nombre et se fixaient volontiers, certains d’être toujours bien accueillis et d’y recevoir du Taschi-lama une généreuse hospitalité.

Depuis, et pendant tout le courant du XIXe siècle, les Thibétains n’ont pas eu à se louer des procédés des Anglais à leur égard. Ils ont assisté à la disparition successive de tous les Etats-tampons qui étaient pour eux une garantie de sécurité du côté des Indes. Ils ont vu absorber dans l’empire anglo-indien non seulement des pays qui étaient, comme le Népal, sous la dépendance religieuse du Dalaï-lama, mais encore des contrées qui, comme le Boutan et le Sikkim, dépendaient politiquement du