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III
Tentatives des Européens pour explorer le Thibet et pénétrer à Lhassa.


On conçoit sans peine quel état d’esprit, quels sentimens a pu créer chez les Thibétains la série des faits que nous venons d’exposer. Jusqu’alors, ils s’étaient montrés constamment sympathiques aux Européens qui s’étaient aventurés chez eux. Le premier d’entre eux qui pénétra au Thibet, le frère Odoric de Pordonone, avait pu se fixer à Lhassa en 1328. Trois siècles plus tard, en 1628, le jésuite portugais Andrade avait pu traverser toute la contrée de l’ouest à l’est pour se rendre en Chine, tandis que d’autres jésuites, les Pères de Linz et d’Orville, la traversaient quelques années plus tard en sens inverse, de l’est à l’ouest, pour se rendre de la Chine à l’Inde par le Népal. En 1715, un jésuite italien, le Père Désidéri, s’était rendu à pied de Cachemire au Ladak d’où il atteignit Lhassa, qu’il habita quinze ans. Vers 1736, une mission de capucins italiens s’était établie au Thibet, et l’un de ses membres, Orazio della Penna, y séjourna vingt-deux ans, et y écrivit une « brève notice » sur le pays, laquelle constitua pour l’Europe, avec les récits des missionnaires antérieurs, les premières données d’ensemble sur le Thibet. Un explorateur laïque, le Hollandais van den Putte, résida aussi pendant plusieurs années à Lhassa. Quand, à la fin du XVIIIe siècle, le gouvernement thibétain apprit que des Occidentaux s’établissaient à demeure dans le Bengale et fondaient un empire nouveau dans son voisinage, il crut tout naturel de lier des relations amicales avec ces étrangers qu’il accueillait pour son compte si bien, et s’imagina, ces bonnes relations établies, que les Anglais y demeureraient fidèles. Grand dut être son étonnement lorsqu’il vit le gouvernement des Indes renier, lors de l’invasion du Thibet par les Népalais, l’amitié thibétaine et les engagemens pris, et se déclarer en faveur de leurs adversaires. La déception qu’il éprouva alors dut lui être d’autant plus amère qu’il s’était, à diverses reprises, compromis pour obtenir la faveur des Anglais. On a prétendu que la lettre du Taschi-lama à Warren Hastings, qui fut le point de départ des relations entre les Thibétains et les Anglais, avait été écrite par ce prince dans la secrète intention de chercher auprès des Anglais un appui et une protection contre