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du plateau thibétain qui forme le Grand Thibet, avait envahi le Gnari-Khorsoum, la province occidentale de ce pays, et dirigé une expédition sur la route de Lhassa. Obligé de rétrograder devant les Chinois, il n’en réussit pas moins à conserver le Petit et le Moyen Thibet qui lui furent reconnus par le traité de 1842 et plus tard par celui de 1856. Mais arrêté de ce côté, le prince cachemirien reporta ses vues au nord. Franchissant les passes du Kouen-loun, il fit son apparition sur le revers septentrional de ces montagnes, descendit dans la plaine du Tarim, s’empara des hautes vallées du Karakach et du Ruskem-Daria, et occupa la partie méridionale du Turkestan oriental, bien que ce pays fût une dépendance de la Chine. La place forte de Chahidoulla, qui commande l’entrée du défilé qui mène à Khotan, conquise par lui, marqua enfin la limite de ses conquêtes vers le nord.

Par cette dernière annexion la frontière indo-britannique fut reportée à 500 kilomètres au nord de l’Himalaya. Du côté de l’est, sur le plateau thibétain, la limite fut formée par une ligne imprécise laissant le Petit et le Moyen Thibet au Cachemire et le reste du plateau au Grand Thibet. Mais la tentative de Gulab-Singh pour mettre la main sur le Grand Thibet ne fut pas la dernière manifestation des velléités anglaises sur ce pays. Quelque temps après l’échec éprouvé par ce haut feudataire de la couronne des Indes, le rôle qu’il n’avait pu remplir jusqu’au bout fut repris par un autre prince indien, également allié de l’Angleterre, le souverain du Népal. Une armée népalaise franchit l’Himalaya en 1854 et envahit le Thibet méridional. Plus heureux que le maharajah de Cachemire, le roi du Népal put forcer le gouvernement de Lhassa à lui payer tribut et à recevoir un résident népalais dans cette ville. Mais rendre le Thibet tributaire du Népal, c’était porter atteinte aux droits séculaires que les Chinois s’attribuaient sur ce pays, c’était diminuer le prestige de la Chine suzeraine aux yeux des Thibétains ; et la cour de Pékin, qui venait de s’opposer à l’invasion du Grand Thibet par le souverain du Cachemire, jugea encore ici opportun d’intervenir. Elle agit, en cette circonstance avec d’autant plus d’empressement qu’elle considérait le Népal, auquel elle avait imposé le tribut en 1795, comme étant resté depuis cette époque son vassal, et la querelle se termina par un compromis par lequel le Népal et le Thibet déclarèrent tous deux reconnaître à nouveau la suzeraineté de la Chine.