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régions, cinq ou six fois plus étendues que le Cachemire proprement dit, formèrent la partie septentrionale de cet État. C’est toute une fraction notable du Thibet qui fut alors incorporée au domaine de Gulab-Singh. Borné au midi par l’Himalaya, au nord par le Kouen-loun, à l’ouest, par le Korakorum, le Petit Thibet et le Moyen Thibet font en effet partie géographiquement du plateau thibétain, comme le Grand Thibet, avec lequel ils se continuent du côté de l’est sans différence saillante. Ils ont au nord et au sud les mêmes chaînes de montagnes qui les limitent, au nord le Kouen-loun, au midi l’Himalaya. Le sol a même configuration, même aspect, à peu près mêmes produits ; les populations appartiennent à la race thibétaine, sont bouddhistes lamaïstes, et obéissaient, avant leur annexion au Cachemire, à l’autorité du gouvernement de Lhassa. L’incorporation définitive du Petit et du Moyen Thibet dans le Cachemire, État vassal de la Compagnie des Indes, en diminuant d’une manière considérable l’étendue des territoires soumis au gouvernement thibétain, augmentait d’autant le domaine des possessions anglaises et reportait la frontière indo-britannique du pied de l’Himalaya jusqu’au Kouen-lun, au cœur de l’Asie. L’État cachemirien devint ainsi la sentinelle avancée de l’Inde sur le plateau central du vieux continent. Composé en majeure partie de sommets inaccessibles, d’énormes glaciers, de plateaux très élevés, il se dressait en un gigantesque bastion dont les fronts saillans s’appuyaient aux murailles des montagnes les plus formidables du globe. Là, à ces altitudes vertigineuses, sur la terrasse du monde, les Anglais pouvaient planer, comme suspendus sur le Thibet, la Chine et les deux Turkestans, se tenant aux aguets et surveillant d’un œil jaloux les mouvemens et les migrations des peuples et les actes des gouvernemens. Certes, il eût été raisonnable de reconnaître alors que, arrivée à cette haute latitude, la frontière nord-ouest de l’Inde avait atteint ses limites extrêmes ; que, défendu par le triple rempart de l’Himalaya, du Korakorum et du Kouen-loun, l’empire indo-britannique était à l’abri de tout danger dans ces parages ; et qu’enfin le moment était venu d’arrêter l’expansion de l’Inde vers le nord.

Mais Gulab-Singh avait le goût des annexions, et les Anglais, qui en somme tiraient profit de ses entreprises, le laissaient faire. Déjà, en 1841, non content de s’être emparé du Petit Thibet et du Moyen Thibet, Gulab-Singh avait voulu conquérir le reste