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domination que sur le Bengale et sur la côte orientale de la péninsule. Le centre de l’Inde, tout le nord-ouest lui échappaient. L’empire du Grand Mogol, quoique très affaibli, subsistait toujours, et de vastes États comme les Mahrattes, les Sikhs, les Radjoutes formaient de redoutables confédérations avec lesquelles il fallait compter.

D’autre part, le Thibet et l’Inde étaient éloignés l’un .de l’autre ; entre eux étaient interposés un certain nombre d’États indépendans : la Birmanie à l’Est, le Boutan, le Sikkim, le Népal au centre, les Sikhs à l’Ouest, s’étendant de l’Ouest à l’Est, au sud de l’Himalaya. On ne pouvait accéder au Thibet qu’en empruntant les routes traversant ces États, routes qui étaient bien les plus ardues qui fussent, suspendues comme elles étaient aux flancs des montagnes les plus hautes de la terre. D’ailleurs le Thibet était dans une dépendance étroite de la Chine, qui veillait avec un soin jaloux au maintien de sa suzeraineté sur ce pays, comme on venait de le voir dans la guerre récente du Népal. Dans ces conditions, à quoi bon vouloir asseoir l’influence britannique au Thibet, quand on ne possédait pas même les États subhimalayens limitrophes ? A quoi bon s’exposer à avoir des complications avec la Chine, cet empire qui paraissait si fort, et si peu vulnérable par terre ? Précisément, on était en ce moment en guerre avec la France ; on pouvait l’être demain avec les grands États indiens indépendans. N’y aurait-il pas un grave danger pour les possessions britanniques de l’Inde si la Chine, devenue un ennemi irréconciliable, profitait des embarras de la Compagnie pour jeter une grosse armée sur les frontières du Bengale ? N’était-il pas plus sage, plus prudent, d’achever la conquête de l’Inde, puis de ranger sous l’influence anglaise les États subhimalayens limitrophes du Thibet ? Asseoir l’influence britannique dans ces derniers États, n’était-ce pas d’ailleurs se mettre dans de bonnes conditions pour exercer une action efficace au Thibet, si le besoin de cette action se faisait plus tard sentir ? On dominait ainsi les routes maîtresses qui mènent des vallées du Gange et de l’Indus au plateau thibétain et l’on tenait une base solide d’opérations pour les expéditions pouvant être jugées nécessaires. De plus, les populations de ces régions avaient d’étroites connexions avec celles du Thibet. Au Népal, la plupart des habitans ont des traits thibétains, leur dialecte est un thibétain indianisé. De même au Boutan et au Sikkim