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toute prête ? Qu’ils la proposent donc ! et la France, assurément, ne leur en sera pas moins reconnaissante que l’Allemagne, ni l’Allemagne que la France. Ou encore, et d’une manière générale, nos pacifistes sont-ils prêts à proposer aux nations européennes de travailler à l’établissement de la paix universelle sur la base du statu quo de 1905 ? S’ils le sont, qu’ils osent donc le dire, en termes clairs, en termes précis, qui ne comportent point d’équivoques ni de chicanes. C’est Nietzsche, je crois, qui a écrit que « la vraie coupable des guerres qui ont ensanglanté le XIXe siècle, c’était l’histoire, » — et la manière dont on l’enseignait. Mais, de quelque manière qu’on enseigne l’histoire, si l’on ne peut l’enseigner sans qu’un peuple y prenne conscience de son passé, comment ce peuple pourrait-il anéantir ce passé, l’empêcher d’être ou d’avoir été, et de produire ses conséquences ? Aussi longtemps que la France n’aura pas reconnu par des actes la suprématie continentale de la puissance allemande, l’Allemagne ne peut pas désarmer ; et aussi longtemps que la France sera la France, elle pourra subir cette suprématie, elle pourra même en prendre loyalement son parti, mais non pas la reconnaître et l’accepter en quelque sorte comme l’une des bases du droit public européen. Les pacifistes ont-ils quelque moyen de résoudre la difficulté ? L’Allemagne a sacrifié des milliers de ses enfans pour une conquête qu’elle regardait comme la consécration et, dans l’avenir, comme la garantie de son unité nationale : est-ce à son « unité » que les pacifistes lui persuaderont de renoncer ? et s’ils disent qu’il n’est pas question d’amener l’Allemagne à une résolution de cette nature, alors, est-ce à nous. Français, qu’ils se flattent peut-être d’enseigner une résignation qui équivaudrait à un reniement de notre être même, puisque c’en serait un de tout notre passé ? Ici encore, nous sommes donc en présence d’une difficulté que ne résoudra sans doute aucun traité d’arbitrage, et que deux grandes nations ne soumettront jamais à une Cour de La Haye. Les pacifistes l’ignorent-ils quand ils se vantent, comme on les entend faire, des « améliorations » qu’ils auraient obtenues ? » L’organisation nouvelle qui fait défaut au monde moderne, » et dont ils se proposent de le doter, a-t-elle prévu ces difficultés ? et si elle ne les a pas prévues, qu’est-ce qu’une paix universelle, — ou, comme ils disent maintenant, d’un mot plus équivoque, une conciliation internationale, — dont la première condition serait le remaniement sanglant de la carte d’Europe ?