Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elles surgissent, à moins encore qu’on ne les étouffe, à force de complaisance et de soumission. Et, en effet, il y a un moyen très sûr d’éviter toutes les difficultés qui sans doute naîtront encore de la rencontre de l’Angleterre et de la France, en Afrique ou en Asie, sur le terrain colonial ; et ce serait que la France n’eût pas de colonies ! louis XV partageait en ce point l’opinion de M. Frédéric Passy.

J’avoue que ce n’était pas ainsi que l’on entendait le patriotisme dans l’ancienne France, et sur cet article, ce que nous reprochons pour notre part aux pacifistes, c’est d’appeler mensongèrement du nom de patriotisme ce qui en avait jusqu’ici passé, et à bon droit, pour la négation. Le patriotisme n’est autre chose que la conscience qu’un peuple a de son individualité historique et morale, et de même que cette individualité ne s’est posée qu’en s’opposant, elle s’évanouit nécessairement dans le cosmopolitisme. On ne peut pas être ensemble un excellent Français et un excellent Allemand ; et, si l’on nous répond qu’à tout le moins peut-on être un excellent Européen, nous en doutons, puisque nous voyons qu’en tout cas on ne l’est jusqu’ici, et on ne s’affirme tel, qu’à l’encontre du Japonais ou de l’Américain. Ce n’est donc pas, hélas ! le sénateur baron d’Estournelles de Constant, ni l’éloquent député Jaurès, — je l’appelle éloquent pour ne pas me singulariser, — c’est le professeur Hervé, c’est le « pioupiou de l’Yonne » qui raisonne correctement. La propagande pacifiste ne peut pas ne pas aboutir à une profession d’internationalisme, et le premier article de l’internationalisme est la haine du « militarisme. » Encore ai-je tort de dire le « militarisme, » terme vague, sur lequel on peut épiloguer, et je dois dire : c’est la haine de l’armée ! Il faut bien qu’on le sache, et il faut qu’on le dise ! Pouvons-nous être le « concitoyen de tout homme qui pense ? » Mais nous ne pouvons pas être, en tout cas, son « compatriote. » C’est pourquoi rien n’est plus dangereux que les sophismes à la d’Estournelles ou à la Frédéric Passy. On n’en voudrait pas à ces Messieurs de parler pour ne rien dire. Mais ils ont trouvé l’art de dire des choses à la fois vides et dangereuses. Ils ne font qu’entre-choquer des mots sonores, quand ils écrivent dans leur programme que leur comité « constituera le premier embryon de l’organisation nouvelle qui fait défaut au monde moderne, et sans laquelle le plus puissant comme le plus faible des États ou des individus n’est assuré