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l’on veut dire, car qui « donne l’assaut « aux peuples, si ce ne sont d’autres peuples ? et quelle est cette « concurrence universelle » à laquelle on nous convie de nous associer pour résister ? Mais, cette concurrence universelle elle-même n’est-elle pas une cause perpétuelle d’antagonisme ou de rivalité, donc de guerre ? et de moindres luttes s’engageront-elles dans l’avenir pour la possession d’une région minière, — mines d’or, mines de diamant, — ou pour la conquête d’un grenier à riz, que jadis pour l’ « arrondissement » d’une frontière ?

Mais ce qui est vrai, d’une vérité que les pacifistes ne se lassent pas d’exploiter, c’est qu’assurément nous redoutons la guerre plus que ne faisaient nos pères ; et c’est une question que de savoir s’il y a lieu de nous en féliciter. Car peu de gens ont aimé la guerre pour elle-même, et Napoléon ne mentait pas quand il protestait de son amour de la paix. Il eût volontiers réalisé, lui aussi, l’objet de son ambition, quel qu’il fût, par d’autres moyens que la guerre, mais quand la résistance de ses adversaires ne lui en laissait pas d’autres, il usait évidemment de la guerre, en sa qualité de vainqueur d’Arcole et d’Austerlitz, plus aisément que ne l’eût fait Louis XVI. Nous, Français du XXe siècle, qui n’avons pas en nous les mêmes raisons de confiance que Napoléon, nous ne redoutons pas moins les conséquences de la guerre que l’horreur de la guerre même, et c’est précisément là-dessus que spéculent nos pacifistes.

Ils se rendent également très bien compte que depuis cent vingt-cinq ans les valeurs des choses ont changé. Le changement date du XVIIIe siècle. Nos pères mettaient au-dessus de la vie beaucoup de choses dont il faut reconnaître que nous faisons aujourd’hui moins de cas, la patrie, notamment, et l’honneur. J’entends bien là-dessus que nos pacifistes ne souffrent pas qu’on soupçonne leur patriotisme, ou qu’on les accuse d’avoir un faible sentiment de l’honneur national. Mais c’est eux-mêmes qui nous le disent : « Il ne suffit pas d’être toujours prêt à défendre son pays ; il faut aussi lui éviter les difficultés, les charges inutiles, et développer dans la paix ses forces, ses ressources, sa clientèle. » Patriotisme et business ne sont pour eux qu’une même chose ; la vraie patrie est celle oh. l’on fait le plus d’affaires ; l’honneur national se mesure au chiffre du commerce extérieur. Les charges inutiles sont le budget de la guerre. Et quant aux difficultés, leur moyen de les éviter consiste à céder aussitôt