Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Rome dans l’antiquité, — que « la guerre soit pour elles une industrie nationale ? » Je ne le pense pas, — à moins peut-être que ce ne soit le Japon, en ce moment même, — et j’ose avancer que si Rome ou l’Allemagne avaient connu quelque moyen moins coûteux que la guerre, pour vivre et pour s’agrandir, elles le lui auraient certainement préféré.

En revanche, et depuis je ne sais combien de siècles, on ne voit pas que l’Angleterre, qui se croit d’ailleurs, par une étrange illusion, et qu’on a l’air, en vérité, de prendre pour la puissance pacifique par excellence, se soit abstenue de tirer l’épée toutes les fois que ses intérêts les plus industriels se sont trouvés en jeu. Mais sa chance est d’être une île ; et, à l’heure qu’il est, ses soldats ne sont toujours que des mercenaires ! Au XVIIIe siècle, c’était la religion que nos philosophes accusaient d’être la grande ouvrière des guerres qui ensanglantaient l’Europe de leur temps ; et ils mentaient ! et ils savaient bien qu’ils mentaient, puisque ce n’était pas sur la question de la « présence réelle » ou de la « justification par la foi » qu’on s’était battu jadis à Actium et à Salamine, à Pharsale et à Zama, au Granique et à Cannes ! Au XIXe siècle, c’est la « politique, » je veux dire l’ambition des peuples ou des souverains, dont on a fait la grande coupable, en trouvant toutefois assez naturel, et même légitime, de la part du « grand Frédéric » ou de la « grande Catherine » ce que l’on trouvait monstrueux de la part de Louis XIV, si improprement appelé « le Grand. » Je dirais aujourd’hui, volontiers, que la cause des grandes guerres est et sera longtemps « économique, » et je ne dirais rien de si ridicule, ni même rien de très difficile à prouver. C’est pour sa subsistance et pour son existence que l’Angleterre a besoin de l’ « Empire des mers ; » et nous pouvons compter qu’elle n’hésitera jamais à compromettre la seconde, s’il le faut, en vue d’assurer la première.

Ceci revient à dire que, si la guerre n’est peut-être pas, comme le pensait Joseph de Maistre, « une loi du monde, » il semble bien qu’elle soit une « condition de l’humanité. » Elle nous est peut-être inhérente et constitutionnelle, comme le vice, et comme la maladie. Et quand là-dessus on nous déclare, avec les pacifistes, « que les peuples découvrent qu’en face des transformations du progrès et des assauts de la concurrence universelle, ils ont tout à perdre en des antagonismes qui les épuisent, et tout à gagner en s’associant, » j’aimerais, d’abord, savoir ici ce que