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nerait le conflit pour elle, et qui ne seraient d’ailleurs pas moindres pour nous, ni même pour la France. » Pourquoi pour la France ? Son interlocuteur a demandé à M. le professeur Schiemann si elle n’aurait pas « le bénéfice de sa neutralité. » C’est ici que la conversation est devenue particulièrement intéressante et instructive pour nous. « Dans un conflit éventuel entre l’Angleterre et l’Allemagne, a dit M. Schiemann, il me paraît difficile que la France reste neutre. Cela me semble même impossible, entre deux adversaires ayant également intérêt à l’avoir avec soi… Entre l’Allemagne et l’Angleterre, en cas de conflit, la France se verrait donc amenée à choisir ; et, de quelque côté que ses intérêts pussent lui conseiller d’aller, elle se verrait entraînée dans les hostilités, et menacée d’avoir la guerre chez elle. » M. le professeur Schiemann en dit long en peu de mots. Remercions-le de sa franchise : quel que doive être l’avenir, il est toujours bon d’être averti.

Ainsi donc, si, ce qu’à Dieu ne plaise ! la guerre venait à éclater, sans que nous y fussions pour rien, entre l’Angleterre et l’Allemagne, il ne nous serait permis d’être neutres que si nous étions en mesure de faire respecter notre neutralité : faute de quoi, il faudrait nous attendre à ce qu’une pression, s’exerçant sur nous d’un certain côté, nous mît formellement en demeure d’opter entre les deux camps. Au premier abord, cette prétention étonne ; mais nous aurions tort de croire qu’elle soit nouvelle et que l’histoire n’en offre pas d’exemples. Elle en offre, au contraire, beaucoup. C’est une très vieille formule que de dire : Quiconque n’est pas pour moi est contre moi, — et c’est une très vieille conduite que d’agir en conséquence. La vérité, et il faut la dire bien haut à l’encontre de toutes les prédications pacifiques dont on nous a assourdis depuis quelque temps ; la vérité, dans l’état général du monde et dans notre situation particulière en Europe, est que nous n’avons pas le droit de ne pas être une très grande puissance militaire. Nous sommes trop riches, nous avons trop de ressources en tous genres, nous avons même, malgré les épreuves qu’on leur a fait subir dans ces derniers temps, une armée et une marine trop fortes pour ne pas exciter des convoitises : puissent-elles être aussi assez fortes pour les décourager ou en repousser les atteintes ! On nous fait entrer malgré nous dans des calculs, dans des combinaisons politiques et militaires, sans se préoccuper de savoir si nous avons quelque intérêt à y prendre part : il suffit que d’autres en aient pour qu’on ne nous laisse pas la liberté d’y rester étrangers. C’est une leçon d’une telle éloquence qu’il faudrait être sourds et aveugles pour n’en pas profiter : aussi espérons-nous qu’elle nous sera salutaire, et