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l’histoire ou la légende du roi d’Ys poursuivi par la vengeance céleste sous la forme de la mer en furie, parce qu’il portait avec lui sur son cheval sa fille chargée de crimes. Au moment de périr, il jeta sa fille à la mer, et la mer s’arrêta aussitôt. L’Allemagne ne s’est pas arrêtée lorsque M. Delcassé est tombé ou a été précipité du ministère. Ses exigences à notre égard sont restées les mêmes, à la fois confuses et impératives. Nous n’en avons pas été surpris ; mais le public, qui aime à voir les choses sous un jour très simple, l’a été et il a commencé à se demander ce qu’on lui voulait. De son étonnement est venue sa nervosité des premiers jours. Il semble bien que, de l’autre côté de la frontière, il y ait eu une déception correspondante. La façon vraiment sommaire dont M. Delcassé a été sacrifié, renversé, piétiné, l’émotion qu’on a manifestée, le désarroi qui s’est emparé des esprits ont donné à croire que la France se laisserait conduire les yeux fermés partout et jusqu’où on voudrait. Mais l’opinion, chez nous, n’a pas tardé à se ressaisir. Il lui a semblé qu’on avait voulu lui faire violence. Elle s’est mise à écouter et à réfléchir ; elle a entendu et elle a compris. Les journaux appartenant aux opinions les plus diverses se sont tout d’un coup trouvés d’accord dans un même sentiment, à savoir qu’il fallait aller aussi loin que possible pour donner satisfaction à l’Allemagne, mais qu’il y avait cependant un point qu’on ne pouvait pas dépasser, celui où notre dignité même serait en cause, où la liberté de notre politique serait compromise, enfin où nos intérêts essentiels seraient directement menacés. Mais était-il possible qu’ils le fussent ? On ne l’avait pas cru jusqu’alors : on a commencé à le croire, ou à le craindre, et il faut avouer que cette inquiétude n’était pas sans quelque fondement.

Nous pourrions citer un grand nombre de journaux allemands dont les articles l’ont fait naître ou l’ont entretenue. On nous a sommés de ne rien faire sur la frontière du Maroc qui pût indiquer de notre part l’intention, même de nous y protéger et de nous y défendre. Soit encore ! Nous ne ferons rien ; nous n’avons l’intention de rien faire ; nous ne laisserons pas des difficultés de frontière prendre les proportions d’un casus belli. Mais ces avertissemens des journaux, auxquels on pourrait donner un autre nom, ne sont pas le seul son de cloche, ni le plus inquiétant qui soit venu à nos oreilles, Il y en a eu d’autres encore : nous les réunirons en un seul, en prêtant une attention particulière aux confidences qu’un homme très distingué, et à même d’être très bien renseigné, M. le professeur Schiemann, a faites à un journaliste français. M. le professeur Schiemann a eu soin