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l’habitation des plus malsaines, et les passagers étaient empilés depuis des mois dans l’humidité que le séjour prolongé en rade de Brest avait introduite à bord des navires. Le vent ayant un peu molli, on avait essayé de laisser quelques sabords ouverts, lorsque se fit entendre le cri de : « un homme à la mer ! » Je me jetai dans l’embarcation en portemanteau sous le vent qui fut bientôt amenée, et l’homme repêché, mais le canot faisait tant d’eau que nous eûmes assez de peine à regagner le bord. Comme nous approchions du vaisseau, l’homme que nous venions de sauver se jeta de nouveau à la mer, et une dizaine d’autres matelots pris d’une sorte de vertige s’élancèrent par les sabords. Ces malheureux étaient en proie à une sorte de fièvre chaude, et, dans leur délire, ils sautaient par-dessus le bord avec l’idée de se désaltérer. Nous eûmes beaucoup de peine à les ramener tous à bord.

Cependant nous continuâmes notre route, et, le 19 février, nous mouillions en rade de Toulon. M. Thiers dans son Histoire du Consulat a sévèrement reproché à l’amiral Ganteaume de n’avoir pas continué à faire route pour l’Egypte, selon les instructions du gouvernement. Il est facile de formuler la plume à la main des critiques de ce genre, mais l’état sanitaire de l’escadre était tel qu’il fallait absolument relâcher. En poursuivant notre traversée nous n’eussions amené à l’armée d’Egypte que des non-valeurs, après avoir jeté à la mer la moitié de nos passagers. Il fallut débarquer à Toulon des quantités de malades, et remettre les équipages sur pied avant de reprendre le large. Nous appareillâmes le 19 mars.

Deux jours après dans un coup de vent, le Formidable et le Dix-Août s’abordèrent en prenant des ris ; le premier démâta de son mât d’artimon ; le second perdit son beaupré et eut sa guibre entièrement brisée ; puis, le lendemain, son petit mât de hune tomba en brisant la hune de misaine. Il fallut encore rentrer à Toulon pour réparer ces vaisseaux, et le but de l’expédition se trouva retardé par un accident dû en grande partie à l’inexpérience des officiers. Heureusement les réparations en ce temps-là se faisaient d’une façon simple et pratique : une forte courbe de chêne, sur laquelle on établit les liures de beaupré, remplaça la guibre du Dix-Août ; le Formidable reçut pour mât d’artimon le mât de misaine d’une frégate, et nous partîmes une troisième fois pour l’Egypte, avec l’ordre de concourir, en passant, à la prise