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toute générosité s’éteint dans les âmes, dès qu’elles ne savent plus se sacrifier jusqu’à la mort. Dites-leur que toute noblesse et toutes sciences viennent de vous ; et, en leur dévoilant la grâce sereine de vos longs corps onduleux et souples, apprenez-leur que vous êtes belles, ô Jeunes filles, autant que vous êtes terribles !... »


Le vent du Sud roule des profondeurs du ciel pâle. Les petites pierres soulevées par son haleine crépitent contre les cannelures ébréchées des colonnes. Je m’imagine entendre un vaste battement d’ailes autour des corniches et des architraves. Le bataillon des Victoires passe en tempête sur les nuées orageuses. Je suis la fougue de leur vol à travers les montagnes et les plaines. Je m’arrête avec elles dans un port inondé de soleil, pavoisé de couleurs éclatantes, où tout s’apprête pour on ne sait quel départ héroïque... Un haut navire, cuirassé de fer, franchit la passe. Je sens l’odeur de l’iode et du goudron. Le souffle salé me fouette le visage, et je vois à l’infini s’élargir, devant la proue superbe, le cercle étincelant de la mer, — ces grands espaces sans maîtres où montent les mirages vermeils qui fascinent les yeux des conquérans !...

Le théâtre de Thimgad, qui est contigu au forum, n’offre guère qu’un intérêt archéologique. Il rappelle d’assez loin les autres édifices du même genre qu’on a découverts, soit en Afrique, soit en France, ou en Italie, — par exemple le célèbre théâtre d’Orange. De dimensions fort restreintes, d’une architecture très simple et un peu sommaire, il n’est point en rapport avec la grandeur et la somptuosité des constructions qui l’environnent. Cela s’explique : nous sommes ici dans une colonie militaire, non dans une ville de plaisir, encore moins dans un centre intellectuel, comme Carthage ou Madaure. Le théâtre devait tenir une place médiocre dans les préoccupations des vétérans !

Je me borne à gravir le tertre auquel sont adossés les gradins et d’où l’on jouit d’une vue complète de la ville. Je reviens sur mes pas, et, par le forum, le decumanus, l’arc de triomphe, j’aboutis à la voie du Capitole, où se trouve le marché.