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du plus léger effort d’imagination pour restituer l’ordonnance primitive de cette belle place, où se concentrait toute la vie du municipe.

En entrant, se développait une large galerie décorée de statues dont les piédestaux sont toujours en place. A gauche, il y avait une basilique judiciaire, sur la (façade opposée, toute une série de boutiques réservées aux commerçans ou aux changeurs, à droite la curie, la tribune aux harangues, un petit temple, probablement dédié à la Victoire. L’espace à ciel ouvert, qui s’étendait entre ces différentes constructions, était occupé par une foule de statues qu’on a eu la malencontreuse idée de transporter et d’entasser pêle-mêle dans les misérables salles du musée[1] : c’étaient des effigies des Empereurs, à cheval et en char, des images divines, des portraits de donateurs ou de citoyens illustres. Enfin, de même que Rome et les principales villes de l’Empire, Thimgad, suivant un usage traditionnel, avait une statue de Marsyas sur son forum.

Sans doute, un voyageur dont l’œil est habitué aux vastes dimensions de nos places publiques trouvera que celle-ci est plutôt restreinte. Elle égale pourtant en superficie les forums les plus fameux, si même elle ne les surpasse point. Mais on ne songe pas à la mesurer, on remarque seulement comme cet ensemble est harmonieux, comme les proportions en sont justes et élégantes. Devant un style si sobre et si grandiose, on demeure confondu, lorsqu’on se souvient que ce n’est là, en somme, que de l’architecture coloniale exécutée par la main-d’œuvre militaire. En effet, tous ces édifices qui entourent le forum de Thimgad ont été bâtis par les soldats de la IIIe légion.

Que devaient être, en Italie ou en Grèce, des places comme celle-ci, tout entières construites par des architectes et des ouvriers de profession, si le forum d’une simple colonie africaine offrait déjà, dans son plan, une telle perfection ?

Il faut pourtant le reconnaître : ce fait que Thimgad fut élevée d’un seul coup par des cohortes de vétérans, c’est le gros reproche que les partisans de Pompéi formulent habituellement contre la ville numide. Cette création officielle, ce municipe

  1. Il faut dire, à la décharge du service des antiquités, que ces sculptures abandonnées sur le forum, risquaient fort d’être complètement anéanties par les Arabes ou les touristes. Les Anglais, comme toujours, se signalaient par leur rage de mutilations.