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camp romain. Elle en reproduit les dispositions essentielles avec ses deux avenues principales qui se coupent à angle droit et son forum central situé à l’intersection de ces deux artères : ce qui donne la figure assez exacte d’un camp avec son cardo et son decumanus se croisant au prætorium.

Mais, dès qu’on s’est placé entre les deux linteaux de la porte, juste dans l’axe de la grande voie dallée qui conduit au péristyle du forum, il se produit comme un changement à vue. L’immense ruine confuse s’ordonne tout à coup, se distribue symétriquement de chaque côté de l’avenue. Les maisons se relèvent suivant l’alignement des portiques, se groupent en quartiers. Les petites rues parallèles dessinent tout un damier de maçonnerie. C’est une résurrection incomparable !

On s’attend presque à voir sortir un factionnaire de la guérite creusée dans la tour... Traînés par des couples de bœufs, les chariots suspendus sur leurs hautes roues pleines vont rouler encore dans les ornières profondes qui sillonnent ces dalles. La cage d’une litière tout encourtinée de voiles éclatans va surgir et se balancer par-dessus les épaules des esclaves liburniens. Sous les arcades étroites, on va frôler au passage les éventaires des fruitiers, heurter son pied contre les tas de limons et d’aubergines. On va longer les boutiques des selliers, où reluisent les chamarrures d’or des harnais et des caparaçons, les chambres basses des brodeurs où des hommes accroupis dévident des écheveaux de soie ; puis ce seront les abreuvoirs, les hôtelleries, les tavernes enguirlandées de roses et de jasmins, où des joueurs sont couchés sur les nattes, le menton sur la paume de la main, tandis qu’un bel enfant couronné d’ache module un air de flûte !...

Ebloui par toutes ces images antiques, je remonte le cardo maximus, lorsque j’apprends qu’on vient de découvrir une nouvelle mosaïque ! C’est un véritable événement !... Je suis mon guide, à travers les décombres, jusqu’à la cour intérieure d’une maison dont on a dégagé les quatre murs.

Les manœuvres, qui ont déterré le pavement, se tiennent dans le fond, appuyés sur leurs pics et sur leurs pelles : je reconnais en eux les mêmes pénitenciers aux crânes tondus, et aux lèvres glabres que j’ai rencontrés tout à l’heure à Lambèse. L’air hostile et narquois, ils se taisent, tout en nous dévisageant. On sent qu’il va se passer quelque chose d’extraordinaire.